mercredi 15 mars 2017

Printemps silencieux à l’île de Runde

Le titre de l’ouvrage Silent Spring (1962) de la biologiste américaine Rachel Carson fait allusion à un printemps où les oiseaux ne chanteraient plus. Son livre est une étude de 35 espèces d’oiseaux menacées d’extinction à cause de l’utilisation de pesticides ; il est devenu un classique aujourd’hui. À l’île de Runde, connue pour sa très riche faune aviaire, les scientifiques ont également observé un curieux silence. 

Dans cette petite île située sur la côte ouest de la Norvège, qui normalement grouille de vie pendant la saison de la nidification, les oiseaux marins sont beaucoup moins nombreux qu’avant. Les mouettes tridactyles (Rissa tridactyla) qui se nichaient par milliers dans les rochers tombant directement dans la Mer du Nord, faisaient un joyeux vacarme. Elles sont devenues rares et le printemps risquera d’être silencieux. Les macareux moines (Fratercula arctica), oiseaux emblématiques avec leurs becs striés d’orange, résistent encore, mais on ne sait pas s’ils vont trouver assez de poisson pour nourrir leurs petits cette année.

Il est difficile d’identifier une seule raison pour laquelle les populations d’oiseaux marins sont en déclin, mais selon les scientifiques, il y a probablement un lien avec les changements climatiques. Depuis quelques années, l’eau de la Mer du Nord est devenue plus chaude et une augmentation de la température moyenne de 1,5 degré suffit pour déséquilibrer les écosystèmes. Un minuscule crustacé nommé Calanus finmarchicus, qui existe en quantités énormes en Mer du Nord, pourrait se déplacer à cause de la hausse des températures. Cet animal est la première source alimentaire des alevins qui à leur tour sont mangés par les oisillons.

Les spécialistes de l’écologie marine confirment qu’historiquement il y a eu des variations importantes du nombre de cabillaud, de merlans et de lançons dans la Mer du Nord et que cette instabilité a influencé les populations d’oiseaux marins. Mais la baisse de plusieurs espèces de poissons que l’on peut observer actuellement n’est probablement pas le résultat d’une surpêche, comme c’était le cas pour le hareng dans les années 1960. On observe plutôt un problème de reproduction ; les alevins ne trouvent pas suffisamment à manger et meurent. Les chercheurs affirment que le système écologique marin est complexe et qu’il est très difficile de prévoir ce qui va se passer quand une espèce se déplace ou disparaît définitivement. Ils ne savent pas à quel moment tout l’écosystème pourrait s’effondrer.  

À part l’inquiétude des scientifiques et la tristesse de quelques ornithologues, cette évolution ne semble pas troubler outre mesure la grande majorité de Norvégiens. Une enquête publiée par le quotidien Dagen le 1er juin 2016 a montré que seulement 25% des Norvégiens pensaient que les changements climatiques étaient préoccupants.[1] On remarque par ailleurs que l’immigration est considérée comme un défi important par 64% des personnes sollicitées par la même enquête.

La publication de Silent Spring en 1962 a déclenché une discussion qui a mené à l’interdiction de l’insecticide DDT aux États-Unis. Le livre a contribué à changer l’opinion public et aussi à lancer un mouvement environnemental au niveau international. L’indifférence des Norvégiens à l’égard des changements climatiques peut surprendre, car les habitants du grand nord sont souvent considérés comme étant « proches de la nature ». Leur silence en ce qui concerne les questions climatiques et la disparition des espèces pourrait s’expliquer par la complexité et l’ampleur du problème. Les défis environnementaux sont devenus si importants qu’il ne faut pas s’étonner que la résignation et le déni aient remplacé l’engagement et les protestations des années 1960 et 1970. Printemps silencieux.

Jørn Riseth

L’auteur est Maître de Langue de Norvégien au Département d’Études Nordiques de l’Université de Caen Normandie et Doctorant à l'école doctorale 558 Histoire, Mémoire, Patrimoine, Langage / Université de Caen Normandie.

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