samedi 15 février 2020

Le loup, l’ours et le cygne. Petit tour du bestiaire du metal finlandais.


En lien avec le besoin d’empowerment, la recherche d’extrêmes, l’envie de transgression ou la quête d’un ailleurs plus attrayant, il n’est pas rare de voir des animaux pointer le bout de leurs museaux ou de leurs becs dans les textes et dans l’imagerie metal. Alors que le loup et l’ours détiennent sans surprise une place significative dans la scène finlandaise, les oiseaux, et surtout le cygne, ont plus étonnamment réussi à se nicher au milieu de ces bêtes dangereuses.

Le loup et l’ours sont les deux mammifères les plus présents dans le metal finlandais, bien que l’attention portée au premier soit nettement plus importante. Tous deux semblent fasciner les artistes au point d’apparaître dans les textes, sur les pochettes d’albums[1] et parfois dans des vidéos. Le plus souvent, des hommes se comparent à ces animaux, afin de mettre en avant leur propre côté sauvage, dangereux, imprévisible, féroce, indépendant et inquiétant. Les références au loup et à l’ours sont donc un moyen de s’attribuer des caractéristiques présentées comme surhumaines et par conséquent de mettre en avant la puissance de celui qui s’y compare. Par exemple, Le groupe Moonsorrow dans sa chanson « Suden Tunti » ‘L’heure du Loup’[2] évoque Fenrir, le loup fils du dieu Loki dans la mythologie scandinave, qui est impatient pouvoir se libérer des liens qui le tiennent captif et de participer à la fin du monde, le Ragnarök. Tant dans les textes que dans la vidéo, le chanteur s’identifie à cette créature, d’une part en utilisant le pronom « je » et d’autre part en juxtaposant des images du chanteur à celles du loup, tous deux attachés dans la même position. À la différence du loup, l’ours est parfois lié aux mythes finnois, notamment lorsqu’il est associé à la divinité de la forêt, Tapio, que Nightwish appelle « bear king » ‘roi ours’ dans la chanson Elvenpath[3].
Autres membres importants du bestiaire metal finlandais, les oiseaux sont utilisés d’une tout autre manière. Il n’est généralement pas question de se comparer aux oiseaux dans les paroles ou dans les clips mais plutôt de les évoquer pour illustrer une atmosphère ou un propos particulier. Dans la chanson « Linnut eivät enää laula »[4] ‘Les oiseaux ne chanteront plus’ de Mokoma, les oiseaux qui ne chantent plus, du fait de leur mort, représentent la preuve la plus flagrante des dégâts causés par l’humain sur la nature. Leur absence est le symbole de la destruction de la nature, et l’absence de leur chant illustre l’ambiance morbide qui règne désormais à cause des humains. Les oiseaux sont également dépeints comme des porteurs de messages et de connaissances provenant d’un ailleurs ou d’un autre temps, à l’exemple de groupe Angel Sword qui dans sa chanson « Sign of the raven »[5] présente des corbeaux « apportent des signes de temps plus étranges » sur un champ de bataille. Comme souvent dans le metal, le corbeau est un oiseau que l’on associe principalement à l’idée de la mort, notamment lorsque les groupes évoquent les mythes scandinaves ou celtiques. Dans la scène finlandaise, le cygne représente cependant un concurrent de taille lorsqu’il s’agit de représenter la mort à travers les mythes finnois. En effet, d’après ces mythes, un cygne sacré vit à Tuonela ou Manala, noms donnés au monde des morts et, à l’exemple de la pochette de l’album Manala de Korpiklaani[6] ou de celle de Silent Waters d’Amorphis[7], il est souvent représenté nageant sur la rivière qui sert de frontière à ce monde. Loin de l’image romantique que nous avons de cet oiseau sous nos latitudes, apercevoir un cygne dans les mythes et dans paysage metal finlandais n’est pas bon signe.
Bien que ce bestiaire soit issu du monde réel, les animaux dans le metal finlandais sont souvent placés dans un contexte à minima irréel. À chaque classe biologique, mammifères et oiseaux, ont été attribué des rôles distincts. Ce procédé n’est pas une particularité de la scène finlandaise puisqu’il avait notamment été remarqué dans la scène norvégienne[8]. Seul le cygne apparaît comme typiquement finlandais. Ces évocations d’animaux ne sont pour autant pas moins intéressantes puisqu’elles permettent de mettre en scène différentes réflexions sur l’humain, son rôle et, selon le contexte, ses capacités tantôt limitées, tantôt dévastatrices au sein du vivant. 


Lise Vigier

L'auteure est doctorante à l'école doctorale 558 Histoire, Mémoire, Patrimoine, Langage / Université de Caen Normandie. 

[1] Pour le loup voir la couverture de Sonata Arctica, Pariah’s Child, Nuclear Blast, 2014 et pour l’ours voir la couverture de Noumena, Myrrys, Haunted Zoo Productions, 2017.
[2] Moonsorrow, « Suden Tunti », Jumalten Aika ‘Le Temps des Dieux’, Century Media Record, 2016.
[3] Nightwish, « Elvenpath », Angels Fall First, Spinefarm Records, 1997.
[4] Mokoma, « Linnut eivät enää laula », Hengen Pitimet, Sakara Records, 2018.
[5] Angel Sword, « Sign of the Raven », Rebels Beyond the Pale, label indépendant, 2016.
[6] Korpiklaani, Manala, Nuclear Blast, 2012.
[7] Amorphis, Silent Waters, Nuclear Blast,2007.
[8] Voir par exemple Imke von Helden, Norwegian Native Art: Cultural Identity in Norwegian Metal Music, LIT Verlag, Münster, 2017.

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