En lien avec le besoin d’empowerment, la recherche d’extrêmes,
l’envie de transgression ou la quête d’un ailleurs plus attrayant, il n’est pas
rare de voir des animaux pointer le bout de leurs museaux ou de leurs becs dans
les textes et dans l’imagerie metal. Alors que le loup et l’ours détiennent
sans surprise une place significative dans la scène finlandaise, les oiseaux,
et surtout le cygne, ont plus étonnamment réussi à se nicher au milieu de ces bêtes
dangereuses.
Le loup et l’ours sont les deux
mammifères les plus présents dans le metal finlandais, bien que l’attention
portée au premier soit nettement plus importante. Tous deux semblent fasciner
les artistes au point d’apparaître dans les textes, sur les pochettes d’albums[1] et parfois
dans des vidéos. Le plus souvent, des hommes se comparent à ces animaux, afin
de mettre en avant leur propre côté sauvage, dangereux, imprévisible, féroce,
indépendant et inquiétant. Les références au loup et à l’ours sont donc un
moyen de s’attribuer des caractéristiques présentées comme surhumaines et par
conséquent de mettre en avant la puissance de celui qui s’y compare. Par
exemple, Le groupe Moonsorrow dans sa chanson « Suden Tunti »
‘L’heure du Loup’[2] évoque
Fenrir, le loup fils du dieu Loki dans la mythologie scandinave, qui est
impatient pouvoir se libérer des liens qui le tiennent captif et de participer
à la fin du monde, le Ragnarök. Tant dans les textes que dans la vidéo, le
chanteur s’identifie à cette créature, d’une part en utilisant le pronom
« je » et d’autre part en juxtaposant des images du chanteur à celles
du loup, tous deux attachés dans la même position. À la différence du loup,
l’ours est parfois lié aux mythes finnois, notamment lorsqu’il est associé à la
divinité de la forêt, Tapio, que Nightwish appelle « bear king » ‘roi
ours’ dans la chanson Elvenpath[3].
Autres membres importants du
bestiaire metal finlandais, les oiseaux sont utilisés d’une tout autre manière.
Il n’est généralement pas question de se comparer aux oiseaux dans les paroles
ou dans les clips mais plutôt de les évoquer pour illustrer une atmosphère ou
un propos particulier. Dans la chanson « Linnut eivät enää laula »[4] ‘Les
oiseaux ne chanteront plus’ de Mokoma, les oiseaux qui ne chantent plus, du
fait de leur mort, représentent la preuve la plus flagrante des dégâts causés
par l’humain sur la nature. Leur absence est le symbole de la destruction de la
nature, et l’absence de leur chant illustre l’ambiance morbide qui règne
désormais à cause des humains. Les oiseaux sont également dépeints comme des
porteurs de messages et de connaissances provenant d’un ailleurs ou d’un autre
temps, à l’exemple de groupe Angel Sword qui dans sa chanson « Sign of the
raven »[5] présente
des corbeaux « apportent des signes de temps plus étranges » sur un
champ de bataille. Comme souvent dans le metal, le corbeau est un oiseau que
l’on associe principalement à l’idée de la mort, notamment lorsque les groupes
évoquent les mythes scandinaves ou celtiques. Dans la scène finlandaise, le
cygne représente cependant un concurrent de taille lorsqu’il s’agit de
représenter la mort à travers les mythes finnois. En effet, d’après ces mythes,
un cygne sacré vit à Tuonela ou Manala, noms donnés au monde des morts et, à
l’exemple de la pochette de l’album Manala
de Korpiklaani[6] ou de
celle de Silent Waters d’Amorphis[7], il est
souvent représenté nageant sur la rivière qui sert de frontière à ce monde.
Loin de l’image romantique que nous avons de cet oiseau sous nos latitudes,
apercevoir un cygne dans les mythes et dans paysage metal finlandais n’est pas
bon signe.
Bien que ce bestiaire soit issu du
monde réel, les animaux dans le metal finlandais sont souvent placés dans un
contexte à minima irréel. À chaque classe biologique, mammifères et oiseaux,
ont été attribué des rôles distincts. Ce procédé n’est pas une particularité de
la scène finlandaise puisqu’il avait notamment été remarqué dans la scène
norvégienne[8]. Seul le
cygne apparaît comme typiquement finlandais. Ces évocations d’animaux ne sont
pour autant pas moins intéressantes puisqu’elles permettent de mettre en scène
différentes réflexions sur l’humain, son rôle et, selon le contexte, ses
capacités tantôt limitées, tantôt dévastatrices au sein du vivant.
Lise Vigier
L'auteure est
doctorante à l'école doctorale 558 Histoire, Mémoire, Patrimoine, Langage /
Université de Caen Normandie.
[1] Pour le loup voir la couverture de Sonata
Arctica, Pariah’s Child, Nuclear
Blast, 2014 et pour l’ours voir la couverture de Noumena, Myrrys, Haunted Zoo Productions, 2017.
[2]
Moonsorrow, « Suden Tunti », Jumalten
Aika ‘Le Temps des Dieux’, Century Media Record, 2016.
[3]
Nightwish, « Elvenpath », Angels
Fall First, Spinefarm Records, 1997.
[4] Mokoma,
« Linnut eivät enää laula », Hengen
Pitimet, Sakara Records, 2018.
[5] Angel
Sword, « Sign of the Raven », Rebels Beyond the Pale, label
indépendant, 2016.
[6]
Korpiklaani, Manala, Nuclear Blast,
2012.
[7]
Amorphis, Silent Waters, Nuclear
Blast,2007.
[8] Voir
par exemple Imke von Helden, Norwegian
Native Art: Cultural Identity in Norwegian Metal Music, LIT Verlag,
Münster, 2017.
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