lundi 1 octobre 2018

Timo Soini ministre, Timo Soini citoyen lambda et l’avortement



Vendredi 21 septembre, le ministre finlandais des Affaires Etrangères, Timo Soini, s’est retrouvé soumis à un vote de confiance du parlement pour ses prises de position contre l’avortement, un droit acquis depuis les années 1950 en Finlande[1].


L’affaire avait commencé au mois de mai quand, en marge d’un déplacement officiel au Canada, Timo Soini avait participé, sur son temps libre, à une marche anti-avortement et des images avaient été diffusées sur les réseaux sociaux. Fin mai, juste après le référendum sur l’avortement en Irlande, Soini publie un billet sur son blog[2] dans lequel son désaccord avec le résultat apparait assez clairement.  Ces prises de position ont été immédiatement vivement critiquées, à la fois par l’opposition (Verts, Alliance de gauche et parti Social-démocrate) mais aussi par certains des membres des partis de gouvernement, notamment dans la Coalition nationale. En août, à la suite du refus du sénat argentin de légaliser l’avortement, Soini publie une nouvelle fois un billet de blog intitulé « L’Argentine, un pays magnifique[3] ». Nouvelle polémique; comment un ministre peut à la fois prendre part à un gouvernement qui reconnait le droit des femmes sur leur corps, et exprimer publiquement son désaccord sur l’avortement?

La demande d’un vote de confiance envers le ministre des Affaires étrangères a été faite par des partis d’opposition, les sociaux-démocrates, l’alliance de gauche et les Verts. Dans la procédure, une enquête a été ouverte par le Chancelier de justice (qui, entre autres, supervise la légalité des actions du gouvernement) qui concluait que bien que les actions de Timo Soini n’enfreignissent pas la loi, elles étaient problématiques. En effet, il aurait fallu que la prise de position de Timo Soini soit claire, cette position était-elle celle du ministre ou bien de l’individu.

Au final, 100[4] députés ont voté leur confiance pour le ministre des Affaires étrangères, 60 ont voté contre, les dix-huit députés du Parti finlandais (auquel Soini appartenait jusqu’en juin 2017) ont tous voté blanc, et 21 se sont abstenus ou étaient absents. Le seul parti d’opposition à apporter son soutien à Timo Soini était le parti Chrétien-démocrate. Ce vote de confiance dépassait malheureusement la question de l’avortement, puisque d’un point de vue purement politique, si Soini tombait, c’était le gouvernement qui risquait de se fragiliser et de tomber également, comme le faisait remarquer Sampo Terho, ministre des Affaires européennes et leader de l’Avenir bleu. Les partis de la coalition gouvernementale n’étaient pas prêts à courir ce risque alors que les prochaines élections parlementaires sont prévues pour avril 2019. Si plusieurs députées de la Coalition nationale ont refusé de voter en faveur de Timo Soini, les enjeux politiques ont été plus forts, et elles se sont simplement abstenues de voter.  Il y a fort à parier que sans la pression interne des partis, le vote de certain-e-s député-e-s issu-e-s de la majorité auraient été plus imprévisible.

En dehors de la sphère politique, l’affaire Soini et ce vote de confiance ont également suscité des réactions dans la société civile, en particulier de la part d’associations féministes, comme Naisasialiitto Unioni (organisation féministe fondée en 1892), qui appelle à manifester pour défendre le droit à l’avortement en Finlande et dans le reste du monde.

Enfin cette affaire soulève plusieurs questions d’ordre politique et sociétal : à quel point les alliances politiques avec des populistes nationalistes et conservateurs sont-elles possibles au niveau gouvernemental ? Comment cette forme de double discours de la part de Soini et sa défense prise par les autres partis du gouvernement va-t-elle impacter dans la crédibilité de ces trois partis sur les questions d’égalité des sexes dans la prochaine campagne électorale ? Faut-il s’inquiéter que le climat réactionnaire conservateur et traditionaliste, qui monte en Europe avec les populistes de droite radicale, puisse toucher le droit des femmes dans un pays pionnier sur la question ?


Marie Cazes
L’auteure est doctorante au département de Science politique de l’Université de Jyväskylä (Finlande).


[1] En 1950 l’avortement est légal seulement dans certains cas : viol, inceste, si la mère est mineure, si la naissance menace la santé physique ou mentale de la mère. En 1970 la loi est élargie aux « raisons sociales » (divorce, manque de revenus …)
[4] Le Parlement finlandais, Eduskunta, est composé de 200 députés, il fallait donc exactement 100 voix en faveur de Soini pour que sa confiance soit renouvelée (sachant que les ministres sont aussi députés, il avait le droit de voter, et sans surprise il a voté en sa faveur).

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