samedi 15 septembre 2018

Un loup dans l’histoire



Au début des années 1970, le loup (Canis lupus) a failli disparaitre définitivement du territoire norvégien. L’espèce a obtenu une protection en 1971, et la population a peu à peu commencé à croître. Le grand prédateur de la famille des canidés est néanmoins encore aujourd’hui classé comme une espèce en danger critique d’extinction (CR) en Norvège[1]. Plus actif la nuit que pendant la journée et évitant le contact avec les humains, le loup se fait rarement observer à l’état naturel. Les Norvégiens ont tout de même l’impression de le connaitre, car il est omniprésent dans les contes populaires et dans les légendes. Secret et incontrôlable, le loup continue de nourrir notre imaginaire, et il fait même l’objet de « fake news ».



Au moment où le nombre de loups en Norvège a commencé à augmenter il y a une trentaine d’années, sont apparues des rumeurs selon lesquelles ces animaux ont été importés illégalement et relâchés dans la nature. Des journaux ont publié les témoignages des personnes ayant observé des hélicoptères transportant des loups de l’étranger. D’autres auraient vu des camions mystérieux arriver dans les forêts norvégiennes pour y décharger des loups[1]. Parmi les observateurs de ces activités étranges et souvent nocturnes, certains appartiennent à des associations réunissant des chasseurs, tandis que d’autres sont éleveurs d’ovins. Ils sont tous convaincus que les loups observés sur le territoire norvégien aujourd’hui ont été volontairement réintroduits par l’homme.

L’hypothèse selon laquelle ces animaux ne sont pas véritablement sauvages, mais seraient élevés dans des parcs animaliers en Suède et en Estonie a également été avancée. Les lupo-sceptiques en tirent la conclusion que les loups n’ont pas leur place dans la nature norvégienne, et qu’il fallait en réduire le nombre par un abattage massif. Ils s’appuient également sur des théories de conspiration pour critiquer la politique environnementale du gouvernement. Ils estiment que les autorités cherchent à cacher la vérité à l’opinion publique en diffusant des fausses informations à propos du loup, et pensent que les chercheurs travaillant dans le domaine sont manipulés par les mouvements écologistes favorables à la protection des grands prédateurs.


Les loups sont aussi revenus dans d’autres pays européens, et on peut observer que les adversaires de leur présence ont recours au même type de récit pour discréditer l’idée d’un retour naturel. Ayant un caractère extraordinaire et mystérieux, ce genre d’histoire est habituellement dénommé légende urbaine ; il est question d’une histoire qui est partagée par de nombreuses personnes sans être vérifiée[2]. Les animaux, en particulier les espèces considérées comme dangereuses, sont récurrents dans ces récits, et l’histoire des loups qui reviennent par hélicoptère ou par camion est apparue dans presque tous ces pays, la France incluse[3].


Des chercheurs norvégiens et suédois ont essayé de contrecarrer les rumeurs à l’égard du loup réintroduit volontairement par l’homme en rappelant que les canidés sont des animaux à quatre pattes et qu’ils sont capables de se déplacer par leurs propres moyens. Leurs recherches ont démontré que les loups peuvent parcourir de très longues distances, et les analyses de l’ADN confirment que les loups vivant en Scandinavie aujourd’hui sont tous issus d’une population finno-russe de loups sauvages.En 2002, une louve est partie de l’est de la Norvège, et à la frontière entre la Finlande et la Russie, à 1100 kilomètres de son point de départ, elle a été tuée. La puce électronique dont elle était équipée a indiqué qu’elle avait fait 10.000 kilomètres, à pieds, avant de rencontrer son destin. La thèse selon laquelle les loups ont été élevés dans les parcs animaliers suédois n’a donc pas été retenue, mais, soulignent les chercheurs, ils n’auraient pas hésité à publier une telle nouvelle si c’était possible de la documenter[4].



La discussion sur le loup reste toujours intense en Norvège. L’été dernier, le ministre norvégien du climat et de l’environnement, Ola Elvestuen, a assisté à une mission scientifique où l’on munissait les loups d’une puce afin de pouvoir les repérer dans la nature. L’histoire que le ministre a raconté à la presse à cette occasion n’a pourtant pas contribué à calmer les antagonismes. Selon le quotidien Nationen, Ola Elvestuen s’est fait filmer en train de caresser un louveteau[5]. (Il faut préciser qu’il s’agissait d’un loup de bas âge et pas d’un jeune scout. Dans ce cas-là, l’histoire serait différente.) En tenant le petit dans ses bras, le ministre a raconté que celui-ci s’appelait Balder et qu’il n’avait que trois semaines. Il a présenté le louveteau comme une preuve de la nécessité d’une population durable de loup en Norvège.


L’information qu'Ola Elvestuen a donné sur l’âge de l’animal était probablement correcte, mais il avait lui-même trouvé le nom du petit loup. Les réactions du lobby anti-loup ont été fortes à la suite de la distribution d’une vidéo montrant l’étreinte. On a reproché au ministre de faire une mise en scène pour créer une image paisible d’un terrible prédateur qui est prêt à attaquer les brebis dans les pâturages à tout moment. Depuis, le ministre s’est repenti en avouant qu’il s’est laissé emporter par un sentiment peu protocolaire à l’égard du louveteau. La force suggestive du loup semble donc si forte que nous, les hommes politiques inclus, ne résistons pas à la tentation de raconter des bobards.  

Jørn Riseth 
 
L'auteur est Maître de langue de norvégien au Département d'études nordiques de l'Université de Caen Normandie
  








[2] Børge Nordbø. Vandrehistorie. Store Norske Leksikon. https://snl.no/vandrehistorie
[3] John Odden, John Linnell et Øystein Flagstad. Chercheurs de l’Institut norvégien de recherche sur la nature (NINA). Rovdyrenes spredningsevne gir opphav til myter. Le quotidien Aftenposten du 28.10.2016. https://www.aftenposten.no/meninger/debatt/i/M8jg5/Naturforskere-Rovdyrenes-spredningsevne-gir-opphav-til-myter
[4]John Odden, John Linnell et Olve Krange, chercheurs de l’Institut norvégien de recherche sur la nature (NINA). Débatten rundt rovdyr i Norge består i økende grad av løgner og propaganda. Le quotidien Aftenposten du 13.10.2016. http://www.aftenposten.no/meninger/debatt/Debatten-rundt-rovdyrene-i-Norge-bestar-i-okende-grad-av-logner-og-propaganda--Odden_-Linnell-og-Krange-606625b.html


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