mercredi 15 janvier 2020

La biodiversité rognée du Danemark


Les incendies qui ont sévi en 2018 en Californie, en 2019 en Amazonie, Sibérie et actuellement en Australie ne cessent de réactualiser la question de l’immensité des territoires et millions d’hectares de biodiversité qui partent en flammes devant les yeux impuissants de l’humanité. Outre de rappeler l’inaction politique face à ces désastres causés par le dérèglement climatique, les débats provoqués par ces incendies font revenir au-devant de la scène internationale la question de la place qui est donnée à la nature dans nos sociétés contemporaines. Ces incendies ont le mérite de faire réaliser plus que jamais la nécessité de (re)donner de l’espace à la nature, alors même que celle-ci ne cesse de rétrécir sous l’emprise de l’humanité et de s’appauvrir à cause de la crise écologique.

Lorsqu’il est question des espaces naturels et des paysages nordiques, viennent en tête les vastes étendues montagneuses que l’on survole en Norvège, les régions des lacs en Finlande, les vastes forêts suédoises ou encore les paysages que les touristes partent admirer sur les Îles Féroé ou en Islande. La nature danoise est souvent oubliée, elle qui héberge pourtant une large, bien que timide biodiversité.

« Pourquoi n’avons-nous aucune nature sauvage au Danemark ? » (Rasmus Ejrnæs, Natur, p.53). Telle est la question que pose la fille de Ramsus Ejrnæs à son père dans l’avion survolant le patchwork de champs cultivés du Jutland avant d’atterrir à l’aéroport de Tirstrup. Difficile en effet d’associer le paysage danois à la présence d’une quelconque vie non-humaine non contrôlée alors que 95% des terres sont utilisées pour l'exploitation humaine[1]. Le territoire danois est partagé en zones urbaines, zones rurales, environs de maisons de vacances et réserves forestières. 

Désignées par le terme de fredskov, littéralement forêts de paix, ces réserves résonnent d’intouchabilité, de préservation et semblent associées à un sentiment immémorial de respect et d’amour pour des forêts ancestrales. Pourtant, ainsi que l’écrit Rasmus Ejrnæs dans son essai, ces dites réserves, créées par la règlementation de 1805 des réserves forestières ne visaient pas à protéger la biodiversité présente dans les bois danois mais bel et bien à assurer un approvisionnement régulier du peuple en bois[2]. Les forêts naturelles danoises ont ainsi été remplacées par de jeunes monocultures de conifères, plantées en rangées. Aujourd’hui, les associations écologistes s’évertuent à les protéger au nom de la préservation de la biodiversité et du paysage naturel danois alors même qu’elles empêchent le retour des feuillus indigènes danois (chêne, hêtre, tremble, saule chèvre, érable champêtre, érable de Norvège, orme, orme à petites feuilles, tilleul à petites feuilles) qui poussaient il y a seulement 200 ans. 

Aussi, s’il est indéniable que le dérèglement climatique accélère la mise sous pression de la nature, il ne faut pas oublier qu’elle l’est depuis longtemps et ce en particulier à cause des politiques d’aménagement du territoire. Ramsus Ejrnæs déplore le fait qu’il manque cruellement de zones naturelles au Danemark[3]. Dans son essai, il rappelle que l’Union Européenne a forcé le Danemark à désigner 252 espaces protégés par le projet Natura2000. Cependant, même ces espaces n’excluent pas les projets d’infrastructures et activités humaines[4] et sont trop infimes et éparpillés pour permettre une durabilité du développement et du maintien de la biodiversité danoise. 

Dans un article publié sur le média en ligne indépendant et vert Jordbrug.dk, Gustav Bech, s’appuyant sur une étude menée par Morten D. D. Hansen et Kent Olsen du Musée d’Histoire Naturelle d’Aarhus[5], cite l’exemple du carabus intricatus (bøgeløber), vivant dans les quelques forêts ancestrales danoises, grand perdant du patchwork territorial puisque cantonné à de minuscules bulles écologiques survivant ci et là. Ce manque de place laissé à la nature, ce rétrécissement des habitats naturels impact dangereusement la libre expression de la biodiversité danoise. Une situation qu’il importe de changer au plus vite, mais qui ne pourra l’être tant que la population danoise grandissante continuera à s’approprier les dernières réminiscences d’espaces naturels foisonnant de biodiversité. 


Camille Deschamps Vierø

L’auteure est doctorante en littérature générale et comparée à l’Université Bordeaux Montaigne. 




[1] « I Danmark optages 95% af landarealet til menneskelig udnyttelse. I vores danske kulturlandskab har vi opdelt jorden i parceller, og store sammenhængende naturområder skal man kigge langt efter. » ” Klimakrisen ændrer den danske natur », Gustav Bech, Jorbrug.dk, 10 juillet 2019. En ligne: http://jordbrug.dk/klimakrisen-aendrer-den-danske-natur/ Consulté le 9 janvier 2020.

[2] Ramsus Ejrnæs , Natur, Tænkepauser 9. Aarhus Universitetsforlag: 2013, pp.14-15. Rasmus Ejrnæs est chercheur (senior researcher ?) à l’Institut danois de Bioscience et biodiversité. Il est spécialiste du milieu, du climat et de l’énergie. 
[3] Ramsus Ejrnæs , Natur, Tænkepauser 9. Aarhus Universitetsforlag: 2013.
[4] Les sites Natura2000 sont désignés pour protéger habitats et espèces représentatifs de la biodiversité européenne. Au Danemark, ils représentent environ 8,3% de la superficie du territoire national. En ligne: https://www.natura2000.fr/natura-2000/qu-est-ce-que-natura-2000/ Consulté le 9 janvier 2020.
[5] Kent Olsen, Morten D. D. Hansen, Nina Seirup, & Emil Skovgaard Brandtoft. (2019). Klima & Naturen. Naturhistorisk Museum.

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