vendredi 1 mai 2020

Géographie du Covid-19


Fuir la civilisation et fonder une nouvelle vie au sein de la nature est un rêve ancien. Si ses origines remontent au dix-huitième siècle voire l’Antiquité, il a trouvé de nombreux adeptes dans les pays nordiques plus récemment. Les romans Les Sept frères de Aleksis Kivi (1870), L’Éveil de la glèbe de Knut Hamsun (1917), La Combe aux mauvaises herbes de Joel Lehtonen (1919) et Doppler d’Erlend Loe (2004) par exemple sont tous des variations sur le thème. Le virus Covid-19 le fait remonter à la surface dans les actualités.


La propagation de l’épidémie a poussé de nombreux habitants des pays nordiques à fuir les villes pour vivre dans leurs maisons de vacances. La densité des résidences secondaires y est en effet assez élevée, et contrairement aux pays méditerranéens par exemple, elles se trouvent souvent dans des endroits isolés en pleine nature et non pas dans des villages ou complexes touristiques. À premier vue, ces maisonnettes sembleraient offrir des conditions idéales pour attendre le retour à la normale.

Le climat d’opinion a cependant tourné contre ces « fugitifs ». Plusieurs médias ont rapporté des coups de gueule et autres signes de mécontentement. « Ils devraient rester là-bas. Pourquoi viennent-ils le répandre ici ? », s’est exclamé dans le journal Helsingin Sanomat (25 mars) un citoyen de Mäntyharju, une commune du Savo de sud particulièrement prisée par les habitants de Helsinki. « Tout d’un coup, on ne veut plus de nous », a protesté à la SVT (28 mars) un couple stockholmois qui venait de retrouver leur vieille maison de pêcheurs à Kivik dans le province de Scanie.

La campagne souffre en effet de l’épidémie. Fin mars, la commune la plus touchée en Norvège était Hol (4400 habitants) dans la province de Viken, connue pour la station de ski de Geilo. En Finlande, le deuxième foyer le plus important après la capitale (proportionnellement) se situe à Länsipohja, la province de Laponie finlandaise située le long de la frontière avec la Suède. Il serait dû à la station de ski de Levi, connu pour sa vie nocturne qui a continué de manière débridée jusqu’à la fermeture des bars et des restaurants dans tout le pays.

Pour diminuer les risques, la Norvège a interdit les séjours dans les maisons secondaires et la Finlande a pris la mesure drastique de confiner toute la région de Uusimaa, le poumon économique du pays ; ces deux mesures ont ensuite été levées. En Suède, où les autorités comptent moins sur les sanctions et plus sur la sensibilisation du public et la responsabilité individuelle des citoyens, les excursions et séjours à la campagne sont déconseillés, mais non pas interdits. Et les restaurants restent ouverts.

Les médias français aussi ont fait état de crispations dans les relations entre les provinciaux et les urbains. Le modèle suédois suscite en même temps un intérêt comme un modèle alternatif pour la gestion de la crise. Il faut cependant rester prudent concernant la possibilité de transposer un modèle d’un pays à l’autre. Le taux de mortalité à Stockholm et surtout dans ses quartiers défavorisés est très élevé. De l’aveu même des autorités suédoises, le pays a échoué à protéger les personnes âgées Les victimes sont très nombreuses dans les maisons de retraite.

Le rapport à la nature – imaginé comme proche, authentique, direct – est particulièrement important dans les cultures scandinaves et finlandaise. Il ne devrait pas nous empêcher à voire des similarités entre la France et les pays nordiques. Dans l’Hexagone aussi, il existe des régions faiblement peuplées et peu touchées par le virus. Si elles sont peu représentatives du pays en général, la situation est l’inverse en Suède, Finlande et Norvège où la densité de population est beaucoup moins élevée qu’en France. Grâce à la géographie, la distanciation sociale est de quelque sorte dans la nature. Par contre, la situation dans les villes et dans les stations de ski – lieux de concentration temporaires de citadins – est comparable aux régions urbanisées en France. 

Le virus s’appuie sur le concret : le comportement des masses, la distance entre les personnes, le nombre de contacts entre individus, etc. L’homme peut essayer de fuir la civilisation, mais il la porte en lui où qu’il aille – et, potentiellement, le virus aussi. À Kivik, Geilo ou Levi. En fait, les romans de Kivi à Loe ont déjà souligné cette aporie. La crise nous révèle des vérités que la littérature avait déjà imaginées.

Harri Veivo
Lauteur est professeur au Département détudes nordiques à lUniversité de Caen Normandie

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