Il y a 100 ans, une petite maison d’édition de Stockholm publiait Min dikt (Mon poème), le premier recueil du poète finlandais Elmer Diktonius. Aujourd’hui, Diktonius appartient au canon littéraire de son pays et son début littéraire compte parmi les chefs-d’œuvre de la littérature moderne nordique. Le jeune poète se destinait pourtant à une autre carrière à l’origine.
Né en 1896, Diktonius a grandi dans les quartiers populaires de
Helsinki, une ville qui se transformait dans son enfance à une vitesse jamais
vue, passant de 23 000 habitants en 1875 à 152 000 en 1920. Il a appris
à connaître également le milieu rural autour de la capitale, dans la province
d’Uusimaa où sa famille avait des attaches. Bien que ses parents étaient
svécophones, Diktonius a été scolarisé dans un établissement finnophone pendant
les six années obligatoires avant de se consacrer à la musique et de rencontrer
Otto Wille Kuusinen, député et chef du parti social-démocrate finlandais avant
la guerre civile de 1918.
Diktonius a d’abord enseigné la théorie musicale à Kuusinen avant
que les rôles ne soient renversés, et que l’homme politique devienne un mentor
pour le jeune compositeur. Ils se voyaient clandestinement à Helsinki en
1919-1920 quand Kuusinen, recherché par la police finlandaise, y retournait
pour organiser les activités du Parti communiste de Finlande qu’il avait fondé
en exil à Moscou. Dans ses lettres à Diktonius, Kuusinen compara l’artiste à
l’ouvrier « qui mène tout seul l’unique lutte qui fondera l’avenir de
l’art » et encouragea le jeune homme à être révolutionnaire « de tout
son corps et âme. Sur chaque sujet. Dans toute la vie ». Dans la Finlande des
années 20 dominée par l’idéologie conservatrice et patriotique des « Blancs »
qui ont gagné la guerre civile, de telles conceptions étaient inacceptables.
Le 4 mai 1920, l’Institut musical de Helsinki offrait sa scène à
Diktonius. L’accueil fut très mitigé. Helsingin
Sanomat, le principal journal de la ville, constata que « les
compositions de sons spéculatives » de Diktonius, « inspirées
apparemment par la gauche extrême de la musique », « peuvent fasciner
l’intéressé lui-même mais non pas l’auditeur, car elles n’offrent rien à
écouter » (6 mai 1920). Hufvudstadsbladet
déplora que les concepts de « cubisme et futurisme musical soient trop
blêmes et abusifs » pour caractériser « cet expressionisme moderne le
plus ultra ». Le journal concéda cependant que les idées du compositeur
peuvent mener à « quelque chose une fois qu’il a laissé derrière lui sa
période d’effervescence juvénile » (6 mai 1920).
C’était le dernier concert de l’irascible Diktonius qui se
consacra désormais à la poésie. La vénérable maison d’édition finlandaise Schildts
refusait le manuscrit de Mon poème, ce qui amena le jeune poète à se
faire publier à Stockholm par la petite Bokförlaget lyrik. Dans les aphorismes
qui constituent la plus grande partie de l’œuvre, on peut lire entre autres
phrases tranchantes le constat revanchard : « Les esthètes et les
critiques d’art ressemblent dans un certain respect aux vautours : ils
aiment le plus les os et les excréments de grands hommes décédés ». Un homme de caractère était entré sur la scène
littéraire.
La maison d’édition suédoise de Diktonius a fait faillite peu après
la sortie du recueil. Les premières années furent difficiles, mais, soutenu par
les milieux modernistes et avant tout par la grande critique Hagar Olsson,
Diktonius réussit à se faire une place au soleil à la fin des années 1920.
Parfait bilingue, il participait activement aux discussions dans les revues
finnoises et suédoises, réussissant même à se faire publier à Paris. Min
dikt fut republié en édition facsimilé dans la célèbre collection
« Lyrikklubbs bibliotek » en 1971 – chez Schildts.
Harri Veivo
L’auteur est professeur au Département d’études nordiques de l’Université de Caen Normandie.
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