lundi 15 mars 2021

De la difficulté de compréhension des dialectes norvégiens pour les populations immigrées

Contrairement au français oral de métropole qui présente aujourd’hui un important degré d’uniformisation sur la majorité du territoire, le norvégien lui, se décline en une multitude de dialectes. Tant employés par la classe politique que par les présentateurs à la télévision, les dialectes norvégiens représentent un pan éminent du sentiment d’appartenance à une identité nationale norvégienne. Tenter d’altérer son propre dialecte pour une variété plus « cosmopolite » lorsque l’on est une figure publique en Norvège revient ainsi bien souvent à s’exposer au mécontentement de la vox populi, exprimé à grand renfort de #knoting[1] sur les réseaux sociaux.

Toutefois, cette variation dialectale s’accompagne parfois de fortes disparités phonologiques et lexicales d’une variété à l’autre, ce qui n’est pas sans poser problème aux personnes immigrées[2] en Norvège dont l’apprentissage de la langue s’en trouve complexifié[3]. Interrogée par le média de service public NRK en fin février dernier[4], l’ancienne directrice de la Commission de recours en matière d'immigration[5] (Utlendingsnemnda) Ingunn-Sofie Aursnes a fait part de son inquiétude sur les difficultés de compréhension et d’accès à l’information posées par l’usage des dialectes dans le discours public vis-à-vis des populations étrangères. Son intervention faisait suite à une conférence de presse relative à la crise sanitaire du Covid-19 tenue par le ministre de l'Enfance et de la Famille (Barne- og familieministeren) Kjell Ingolf Ropstad, dont le dialecte de Setesdal[6] est jugé par Aursnes comme particulièrement difficile à appréhender. Selon elle, il est primordial que les informations transmises par les journalistes et le gouvernement puissent être comprises de tous, et préconise ainsi autant que possible le recours à une langue normalisée.

Ropstad, quant à lui, considère que son dialecte constitue une partie intégrante de son identité. Bien qu’ayant déclaré reconnaitre la nécessité de s’exprimer publiquement avec clarté, celui-ci n’envisage pas pour autant d’abandonner l’emploi de son dialecte qui lui est cher. Le point de vue du ministre a notamment trouvé un soutien en la personne de Jenny Klinge, membre du Parlement (Stortingsrepresentant) rattachée au Parti du centre (Senterpartiet) pour le comté de Møre og Romsdal. Il n’est pas question pour elle non plus de porter atteinte aux pratiques dialectales de chacun, mais plutôt de donner les moyens à celles et ceux qui éprouvent des difficultés de compréhension à mieux maitriser les différentes variétés du pays. Jenny Klinge a en effet confié à la NRK[7] que de son point de vue, c’est avant tout à la maitrise lacunaire des bases du norvégien chez une partie des étrangers installés en Norvège que peuvent être imputées lesdites difficultés posées par la variation dialectale dans le pays.

C’est dans cette optique que la parlementaire a fait parvenir une demande écrite au ministre de la Culture (Kulturministeren) Abid Raja, plaidant le développement sur initiative gouvernementale d’une application mobile dédiée à l’apprentissage des dialectes norvégiens pour les personnes issues de l’immigration. Envisagée comme un outil d’intégration sociale et professionnelle, la création d’une application de ce type est jugée pertinente par le philologue Sylfest Lomheim, en particulier pour des personnes vivant dans des régions comme le Trøndelag ou la Norvège du Nord où les dialectes tendent à s’éloigner significativement des normes écrites en bokmål et nynorsk. La mesure évoquée ne fait toutefois pas pleinement consensus, le linguiste Øystein Vangsnes se voulant lui plus modéré quant à l’efficacité potentielle de cette application auprès des apprenants.

Alexandre Chollet
L'auteur est doctorant à l'école doctorale 558 Histoire, Mémoire, Patrimoine, Langage de l’Université de Caen Normandie.



[1] Les substantifs knoting ou knot, dérivés du verbe å knote, désignent familièrement l’altération volontaire et artificielle de la variété linguistique première d’un individu, généralement pour la faire correspondre au norvégien parlé dans l’aire de la capitale Oslo. Il s’agit d’un phénomène mal perçu dans la société norvégienne.

[2] Mais aussi parfois aux Norvégiens adultes eux-mêmes, l’intercompréhension entre certains dialectes pouvant s’avérer plus compliquée que ce qu’il n’y parait. Cet aspect n’a néanmoins que très peu été soulevé dans les débats qui nous intéressent ici.

[3] Témoignages disponibles dans l’article (en norvégien ‘bokmål’) du 12 novembre 2013, issu du journal en ligne NRK : « Dialekter byr på problemer for innvandrere ».

[4] Voir l’article (en norvégien ‘bokmål’) sur le site de la NRK du 27 février 2021 : « Ropstads dialekt skaper bekymring ».

[5] Cette commission est chargée d’examiner les demandes d’immigration et de citoyenneté préalablement rejetées par la Direction norvégienne de l'immigration (Utlendingsdirektoratet) dont les requérants auraient fait appel.

[6] Le Setesdalsk a conservé de nombreux traits linguistiques issus du vieux norvégien, tout en développant plusieurs particularités phonologiques et lexicales qui lui sont propres. Voir l’article du Store Norske Leksikon (en norvégien ‘nynorsk’) : « Dialekter i Setesdal ».

[7] Voir l’article (en norvégien ‘bokmål’) sur le site de la NRK du 28 février 2021 : « Vil ha dialekt-app for innvandrere ».

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