mercredi 15 novembre 2017

Comment peut-on être un insecte ?

Au nord de la Norvège, l’hiver est arrivé. À la fin du mois d’octobre la ville de Tromsø était déjà sous une belle couche de neige. Pendant une période de cinq ou six mois, la végétation sera au repos et beaucoup d’animaux s’éclipseront. Les ours entrent en hibernation, les oiseaux migrateurs partent vers le sud et les chauves-souris trouvent un endroit abrité pour dormir la tête en bas. Mais que font les insectes pour survivre au climat rude des régions arctiques ?

Avec leur apparence gracile et frêle, les insectes semblent peu résistants aux intempéries. On s’imagine que ceux ayant un chez soi comme par exemple une fourmilière ou un nid de guêpes, s’y tiennent compagnie pour résister au froid. Mais autant on est habitué à voir les insectes réapparaître au printemps, autant leur vie pendant l’hiver reste un mystère. Les insectes sont des animaux qui, par leur taille, leur morphologie et leur comportement, sont très différents de grands mammifères comme nous, et nous avons du mal nous à mettre à leur place. C’est peut-être pour cela que nous découvrons avec retard qu’ils sont en train de disparaître de manière définitive.

Selon une étude allemande récemment publiée, le nombre d’insectes, toutes espèces confondues, a été réduit de 76% depuis 27 ans. Dans un entretien avec le quotidien norvégien Aftenposten, l’entomologiste Frode Ødegaard de l’Institut norvégien de recherche naturelle NINA confirme que d’autres études ont déjà montré que certaines espèces, comme par exemple les abeilles, étaient menacées d’extinction. Il estime que les résultats de cette nouvelle étude sont particulièrement inquiétants parce qu’il s’agit d’une réduction générale du nombre d’insectes sur un vaste espace. L’étude a été effectuée dans 63 réserves naturelles en Allemagne où les conditions de vie des insectes sont à priori bonnes. Comme les insectes sont au centre des chaines alimentaires, les conséquences de cette évolution risquent d’être graves : Les insectes nourrissent d’autres animaux, ils contribuent à détruire des matières organiques et ils sont indispensables pour la pollinisation. Le ministre norvégien du climat et de l’environnement, Vidar Helgesen, du parti conservateur Høyre, partage l’inquiétude des chercheurs en disant que le gouvernement s’engagera à protéger les vieux chênes creux. Logis pour une multitude d’insectes, ces arbres jouent un rôle important pour préserver la biodiversité. En revanche, le ministre n’a rien dit sur l’utilisation des pesticides considérée comme la menace la plus importante pour les insectes.

Le sort des insectes est donc finalement arrivé à l’ordre du jour des politiques en Norvège, et même la littérature contemporaine s’en mêle. Le roman Une histoire des abeilles de Maja Lunde, publié en traduction française par Les Presses de la Cité en 2017, décrit les relations entre les abeilles et les hommes à trois moments différents : Une première partie se passe en Angleterre en 1852 où un scientifique dessine une ruche qui permet de récolter le miel sans traumatiser les abeilles. Dans la deuxième partie on découvre les dégâts causés aux abeilles par l’agriculture industrielle aux États-Unis en 2007. Ayant la forme d’une dystopie, la troisième partie se passe en Chine en 2098, après la disparition des abeilles. La pollinisation est faite à la main par des travailleurs qui n’ont que des produits de substitution d’origine douteuse à manger. Mettant en cause la tendance de l’homme à toujours vouloir dominer les abeilles, Maja Lunde a réussi à sensibiliser un grand public à la situation critique dans laquelle se trouvent les insectes. Son livre est le rare exemple d’un roman à tendance écologique devenu un best-seller.


Jørn Riseth

L’auteur est Maître de Langue de Norvégien au Département d’Études Nordiques de l’Université de Caen Normandie

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