lundi 18 décembre 2017

Noël et les paysages nordiques


A l’approche du Noël, les paysages enneigés deviennent omniprésents – dans les médias en tout cas. Impossible de passer une soirée devant la télé sans être submergé par des pubs qui dépeignent des décors blancs de plus en en plus idylliques, impossible de feuilleter un magazine sans être confronté à des photos de montagnes ou de vallées couverts de neige, et impossible bien entendu de faire des courses sans entendre une chanson qui évoque les mêmes images. Les paysages enneigés peuvent cependant avoir une toute autre dimension, et une toute autre force sur le spectateur.


Le poète belge Christian Dotremont a découvert les paysages de la Laponie hivernale dans les années 50. Ce fût un déclic dès la première rencontre, une extase, un ravissement. Il y est revenu onze fois, toujours par le même chemin qui passait par Copenhague, remontait à travers la Suède à Haparanda, traversait ensuite la frontière finlandaise et s’enfonçait dans la Laponie profonde, vers des villages lointains habités par des Sami et des Finlandais du nord.

Le voyage était pour lui une excursion vers les limites du sens. Le paysage couvert de neige était une sorte d’abstraction naturelle où les variations minuscules – un petit arbre qui sort à peine de la neige, une trace d’animal presque effacée par le vent, le reflet bleuâtre de l’ombre d’un nuage – restaient sous le seuil de signification, dans un frémissement entre le sens et son absence. Les paysages du sud par contre étaient toujours porteurs de l’histoire et donc chargés de valeurs et de symboles, pleins, trop pleins pour Dotremont qui voulait respirer de l’air frais. L’expérience de l’espace et de la vie dans le nord donna ensuite la naissance aux « logogrammes », poèmes visuels qui célèbrent l’espace blanc du papier et le geste créatif du poète qui se libère dans l’écriture.

Une expérience similaire est au cœur du Brut d’absolu – Islande, un ouvrage photographique de Stanislas Jung qui vient de sortir chez Tiret du six à Évreux. Il résulte d’un voyage aux limites – de la nature habitable à l’homme, des paysages reconnaissables, du monde cartographié, et du corps et de la psyché aussi. Sans commentaire, à travers les images uniquement, l’ouvrage raconte une excursion dans un paysage de glaciers, de lave et d’eau, dans un espace d’abstraction brutale et libératrice. Parler de l’absence de l’homme dans ces paysages magnifiques et terribles à la fois est insuffisant ; ce serait penser d’abord à sa présence, idée qui s’avère de plus en plus impertinente au fur et à mesure qu’on feuillette l’ouvrage. N’existe que la terre dans la richesse de sa nudité, sans l’homme et sans la culture.

Le chemin est long entre l’Islande ou la Laponie et les supermarchés de l’Europe occidentale. Rappelons-nous, dans cette période annuelle de consommation effrénée, les vertus du paysage nordique enneigé qui n’apparaissent pas dans les images d’Épinal des médias, et qui sont, parmi d’autres, la sobriété, la simplicité, et la liberté.

Harri Veivo

L’auteur est professeur au Département d’études nordiques de l’Université de Caen Normandie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire