A l’approche du Noël, les paysages enneigés deviennent omniprésents
– dans les médias en tout cas. Impossible de passer une soirée devant la télé
sans être submergé par des pubs qui dépeignent des décors blancs de plus en en
plus idylliques, impossible de feuilleter un magazine sans être confronté à des
photos de montagnes ou de vallées couverts de neige, et impossible bien entendu
de faire des courses sans entendre une chanson qui évoque les mêmes images. Les
paysages enneigés peuvent cependant avoir une toute autre dimension, et une
toute autre force sur le spectateur.
Le poète belge Christian Dotremont a découvert les paysages de la
Laponie hivernale dans les années 50. Ce fût un déclic dès la première
rencontre, une extase, un ravissement. Il y est revenu onze fois, toujours par
le même chemin qui passait par Copenhague, remontait à travers la Suède à
Haparanda, traversait ensuite la frontière finlandaise et s’enfonçait dans la
Laponie profonde, vers des villages lointains habités par des Sami et des
Finlandais du nord.
Le voyage était pour lui une excursion vers les limites du sens.
Le paysage couvert de neige était une sorte d’abstraction naturelle où les
variations minuscules – un petit arbre qui sort à peine de la neige, une trace d’animal
presque effacée par le vent, le reflet bleuâtre de l’ombre d’un nuage –
restaient sous le seuil de signification, dans un frémissement entre le sens et
son absence. Les paysages du sud par contre étaient toujours porteurs de
l’histoire et donc chargés de valeurs et de symboles, pleins, trop pleins pour
Dotremont qui voulait respirer de l’air frais. L’expérience de l’espace et de
la vie dans le nord donna ensuite la naissance aux « logogrammes »,
poèmes visuels qui célèbrent l’espace blanc du papier et le geste créatif du
poète qui se libère dans l’écriture.
Une expérience similaire est au cœur du Brut d’absolu – Islande, un ouvrage photographique de Stanislas
Jung qui vient de sortir chez Tiret du six à Évreux. Il résulte d’un voyage aux
limites – de la nature habitable à l’homme, des paysages reconnaissables, du
monde cartographié, et du corps et de la psyché aussi. Sans commentaire, à
travers les images uniquement, l’ouvrage raconte une excursion dans un paysage
de glaciers, de lave et d’eau, dans un espace d’abstraction brutale et
libératrice. Parler de l’absence de l’homme dans ces paysages magnifiques et
terribles à la fois est insuffisant ; ce serait penser d’abord à sa
présence, idée qui s’avère de plus en plus impertinente au fur et à mesure
qu’on feuillette l’ouvrage. N’existe que la terre dans la richesse de sa nudité,
sans l’homme et sans la culture.
Le chemin est long entre l’Islande ou la Laponie et les
supermarchés de l’Europe occidentale. Rappelons-nous, dans cette période
annuelle de consommation effrénée, les vertus du paysage nordique enneigé qui
n’apparaissent pas dans les images d’Épinal des médias, et qui sont, parmi
d’autres, la sobriété, la simplicité, et la liberté.
Harri Veivo
L’auteur est professeur au Département d’études nordiques de
l’Université de Caen Normandie.
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