jeudi 1 février 2018

Que disent les arbres ?


Les animaux prennent souvent la parole dans les textes littéraires, surtout dans les contes populaires et dans la littérature enfantine, mais il est moins répandu que les végétaux s’expriment en langue humaine. Pourtant, les exemples littéraires ne manquent pas, et nous présenterons ici un extrait d’un texte de l’auteur norvégien Bjørnstjerne Bjørnson.


Dans un passage du roman Arne (1859), Bjørnson fait parler les arbres : « Le genévrier dit au chêne étranger qui se trouve plus proche que tous les autres : " Et si on habillait la montagne" ? Le chêne porte son regard vers le bas pour comprendre qui lui adresse la parole. Puis, il regarde vers le haut en se taisant. (…) - " Et si on habillait la montagne ", dit le genévrier au pin de l’autre côté de la rivière. " Si quelqu’un va le faire, c’est nous ", répond le pin. En se grattant la barbe, il dit ensuite au bouleau : " Qu’en penses-tu ? " Celui-ci répond : " Habillons-le au nom de Dieu ". Même s‘ils ne sont que trois, ils se mettent d’accord pour habiller la montagne. Le genévrier y va le premier. »[1]

L’attribution des propriétés humaines aux animaux, aux végétaux et aux choses inanimées est une figure de style qui fait partie des conventions littéraires bien connues. Mais l’idée que les arbres collaborent pour végétaliser la montagne, correspond également à une réalité biologique qu’on peut observer si l’on se balade en montagne : Les petits arbres comme le genévrier s’installent dans les endroits les moins fertiles et les plus exposés aux intempéries. Une fois que les espèces pionnières se sont implantées, les espèces de taille plus importante comme le bouleau et le pin peuvent suivre. Le chêne, un peu hautain comme il est, n’y pense pas ; le climat de la montagne norvégienne est trop rude pour lui.

La métaphore de notre exemple se révèle être fructueuse parce qu’elle communique avec une réalité du terrain que le public auquel l’œuvre est destinée peut reconnaitre. C’est en engageant un dialogue avec les intuitions, les pressentiments et les connaissances du public que le texte arrive à dégager une signification. Les adeptes du courant bio-sémiotique, discipline qui part du principe que tous les êtres vivants communiquent par des signes, n’hésitent pas à faire un rapprochement entre la lecture et l’évolution biologique ; dans les deux cas, un échange de signes déclenche un processus de changement.[2] L’interaction des arbres avec leur environnement peut s’apparenter à l’expérience du lecteur en train de décrypter le texte littéraire. L’interprétation dépend du terreau dans lequel le lecteur a grandi.

Écoliers, nous avons appris que les arbres grandissent grâce à la photosynthèse. L’enseignement, bien ancré dans la tradition néo-darwiniste, se limitait à expliquer que les végétaux étaient capables de synthétiser de la matière organique en utilisant l'énergie solaire. Les végétaux étaient présentés comme des organismes réagissant automatiquement aux stimuli. Néanmoins, cette vision réductrice des arbres tranchait avec nos intuitions. Quand on observe comment un grand arbre rend service aux autres êtres vivants autour de lui, n’a-t-on pas a l’impression de voir un vieux sage ? Récemment, les biologistes ont découvert que les arbres communiquent entre eux ; certains arbres sont par exemple capables d’alerter d’autres arbres de leur espèce si un danger se présente. Les études ont montré que les arbres font des compromis dans la gestion de l’espace et qu’ils s’entraident. Ces découvertes ne représentent rien de moins qu’un changement de paradigme du côté de la biologie, et avec le temps, elles vont certainement transformer notre manière de lire des textes littéraires.

Jørn Riseth
L’auteur est Maître de Langue de Norvégien au Département d’Études Nordiques de l’Université de Caen Normandie





[1] C’est nous qui traduisons
[2]En référence d’un ouvrage de Wendy Wheeler : Expecting the Earth. Life. Culture. Biosemiotics. (2016)








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