Les animaux prennent souvent la parole dans
les textes littéraires, surtout dans les contes populaires et dans la
littérature enfantine, mais il est moins répandu que les végétaux s’expriment en
langue humaine. Pourtant, les exemples littéraires ne manquent pas, et nous
présenterons ici un extrait d’un texte de l’auteur norvégien Bjørnstjerne
Bjørnson.
Dans un passage du roman Arne (1859), Bjørnson fait parler les arbres : « Le
genévrier dit au chêne étranger qui se trouve plus proche que tous les
autres : " Et
si on habillait la montagne" ?
Le chêne porte son regard vers le bas pour comprendre qui lui adresse la
parole. Puis, il regarde vers le haut en se taisant. (…) - " Et si on
habillait la montagne ",
dit le genévrier au pin de l’autre côté de la rivière. " Si quelqu’un va le faire, c’est
nous ", répond le pin. En
se grattant la barbe, il dit ensuite au bouleau : " Qu’en penses-tu ? " Celui-ci répond : " Habillons-le
au nom de Dieu ".
Même s‘ils ne sont que trois, ils se mettent d’accord pour habiller la montagne. Le genévrier y va le
premier. »[1]
L’attribution des propriétés humaines aux
animaux, aux végétaux et aux choses inanimées est une figure de style qui fait
partie des conventions littéraires bien connues. Mais l’idée que les arbres collaborent
pour végétaliser la montagne, correspond également à une réalité biologique qu’on
peut observer si l’on se balade en montagne : Les petits arbres comme le
genévrier s’installent dans les endroits les moins fertiles et les plus exposés
aux intempéries. Une fois que les espèces pionnières se sont implantées, les
espèces de taille plus importante comme le bouleau et le pin peuvent suivre. Le
chêne, un peu hautain comme il est, n’y pense pas ; le climat de la
montagne norvégienne est trop rude pour lui.
La métaphore de notre exemple se révèle être
fructueuse parce qu’elle communique avec une réalité du terrain que le public
auquel l’œuvre est destinée peut reconnaitre. C’est en engageant un dialogue
avec les intuitions, les pressentiments et les connaissances du public que le
texte arrive à dégager une signification. Les adeptes du courant
bio-sémiotique, discipline qui part du principe que tous les êtres vivants
communiquent par des signes, n’hésitent pas à faire un rapprochement entre la
lecture et l’évolution biologique ; dans les deux cas, un échange de signes déclenche un processus
de changement.[2]
L’interaction des arbres avec leur environnement peut s’apparenter à
l’expérience du lecteur en train de décrypter le texte littéraire. L’interprétation
dépend du terreau dans lequel le lecteur a grandi.
Écoliers, nous avons appris que les arbres
grandissent grâce à la photosynthèse. L’enseignement, bien ancré dans la
tradition néo-darwiniste, se limitait à expliquer que les végétaux
étaient capables de synthétiser de la matière
organique en utilisant l'énergie
solaire. Les végétaux étaient présentés comme des organismes réagissant automatiquement aux stimuli. Néanmoins, cette vision réductrice des arbres tranchait
avec nos intuitions. Quand on observe comment un grand arbre rend
service aux autres êtres vivants autour de lui, n’a-t-on pas a l’impression de
voir un vieux sage ? Récemment, les
biologistes ont découvert que les arbres communiquent entre eux ; certains
arbres sont par exemple capables
d’alerter d’autres arbres de leur espèce si un danger se présente. Les études
ont montré que les arbres font des compromis dans la gestion de l’espace et qu’ils
s’entraident. Ces découvertes ne représentent rien de moins qu’un changement de
paradigme du côté de la biologie, et avec le temps, elles vont certainement transformer
notre manière de lire des textes littéraires.
Jørn Riseth
L’auteur
est Maître de Langue de Norvégien au Département d’Études Nordiques de
l’Université de Caen Normandie
[1]
C’est nous qui traduisons
[2]En référence d’un ouvrage de Wendy Wheeler :
Expecting the Earth. Life. Culture. Biosemiotics.
(2016)
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