Le 1er mars, le gouvernement danois devait présenter son
projet visant à brider la criminalité dans les « ghettos » urbains.
Selon les informations qui ont circulé dans la presse, certains crimes – comme
par exemple le vandalisme et les menaces – feraient ainsi l’objet de peines
deux fois plus élevées s’ils sont commis dans un des 22 quartiers sensibles
répertoriés par les autorités. En contrepartie à ces mesures de répression, le
gouvernement accorderait des avantages financiers aux communes qui réussissent
mieux dans leurs politiques d’emploi, d’éducation et d’intégration. Selon le
premier ministre Lars Løkke Rasmussen du parti libéral de centre-droit Venstre, le projet est historique et
reflète la crainte de voir émerger une société parallèle qui menacerait
l’esprit danois (danskhed) même.
La liste officielle des « ghettos » repose sur cinq critères.
Elle prend en compte la participation des personnes âgées de 18 à 64 ans dans
le marché du travail, la proportion relative d’habitants immigrants ou issus de
l’immigration, le nombre de condamnations pour certains délits (liés par
exemple à la détention d’armes et à la vente des stupéfiants), le niveau moyen
d’éducation et le revenu moyen. Ces caractéristiques permettent en effet d’identifier
des quartiers qui peuvent ensuite devenir l’objet de politiques de « bâton
et carotte ». Mais on peut demander aussi, comme le font certaines voix
critiques, dont l’avocat Birgitte Eiriksson, si une telle politique ne finit
pas par violer le principe de l’égalité des citoyens devant la loi. Non, répond
le gouvernement, car le doublement de la peine ne dépendrait pas de la
personne, mais du lieu.
Il est intéressant de lier cette polémique à la problématique de
l’espace dans le polar nordique contemporain. Un thème prépondérant du genre
est en effet la frontière, ou plutôt la criminalité globalisée qui transcende
les frontières entre les nations et met en question les distinctions, les
structures et les relations sur lesquelles repose la vision commune de la
société. Un exemple récent de cette tendance est la série danoise Bedrag (Escroquerie, 2016-2017). A
travers vingt épisodes, elle montre comment Nicky, un jeune mécanicien, devient
un pion dans le montage d’un crime qui étend ses ramifications à travers toute
la société danoise, et qui repose sur un abus du pouvoir de la finance
internationale. Le garage de Nicky dans une banlieue anonyme de Copenhague participe
à une espace interconnecté qui s’étend jusqu’en Amérique Latine et les pays du
Golfe.
La volonté du gouvernement de localiser le mal dans un périmètre bien
défini est contrecarrée par Bedrag qui
montre la nature insaisissable et évanescente de la criminalité moderne qui ne
se fixe pas dans l’espace. Ironiquement, la mode de hygge qui fait rage en Europe et qui promeut une espèce de célébration
de l’être-chez-soi confortable et modeste, semblerait coexister avec une sorte
de crise d’espace dans la société danoise.
Harri
Veivo
L’auteur
est professeur au Département d’études nordiques de l’Université de Caen
Normandie.
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