À la fois bûcheron
et constructeur de barrages, le castor occupe une place à part dans la faune
norvégienne. Le plus grand rongeur de l’hémisphère nord se distingue par son
étonnante capacité à modifier son environnement. Les exploits du castor ne sont
pas toujours du goût des humains, et leurs relations sont en conséquence
souvent conflictuelles. L‘auteur norvégien Mikkjel Fønhus (1894 - 1973), surtout connu pour ses écrits animaliers, a
consacré un livre à la vie d’une famille de castors.[1] La question du partage de l’espace entre
animaux et humains est au cœur de ce récit datant de 1937.
Pour les
représentants de la population locale figurant dans le texte de Fønhus, le
castor est une espèce nuisible. En premier lieu, il déclenche la colère d’un
paysan en mettant ses champs sous l’eau. Par la suite, il amène un ingénieur
forestier au bord du désespoir en créant une pagaille dans sa forêt. Le texte
montre que les castors et les humains entrent en conflit parce que le regard qu’ils
portent sur le paysage n’est pas le même ; chaque espèce aperçoit le
contexte naturel d’une manière qui lui est propre. Tandis que le castor cherche
un lieu paisible en bordure d’une rivière ou d’un lac où il peut construire sa
cabane, l’homme s’intéresse à la capacité du même paysage à produire de l’herbe
ou du bois. Pour exploiter les ressources à son gré, l’homme finit par détruire
les constructions du castor et par le contraindre à prendre la fuite.
En écologie,
le castor est considéré comme une espèce facilitatrice, c’est-à-dire une espèce
qui contribue à améliorer l’existence d’autres organismes vivants. La création
des zones humides par le castor, permet à un grand nombre d’oiseaux, d’insectes
et d’animaux amphibies de s’installer. Quand il abat des arbres, les berges des
rivières et des lacs sont d’avantage exposées à la lumière, et la diversité
végétale augmente. Ces connaissances font aujourd’hui partie des bagages
culturels sur lesquels nous nous appuyons en lisant le texte de Fønhus. Notre
lecture est influencée par une conscience des interactions durables entre le
castor et d’autres espèces sauvages. En 1937, le contexte culturel était
différent ; les gens vivant dans les campagnes norvégiennes avaient
souvent du mal à s’en sortir, et tous les moyens d’augmenter ses revenus étaient
bons, y compris la chasse au castor. À l’époque, les nombreux lecteurs des
livres de Mikkjel Fønhus étaient probablement inclinés à prendre le parti du paysan
et du forestier.
Le castor a
disparu de la plupart des pays européens au cours du XIXe siècle. En raison de
sa belle fourrure, très recherchée pour faire des chapeaux, il a fait l’objet
d’une chasse intensive. Il a failli être exterminé, mais dans de rares endroits
en Europe, il a survécu. Dans le Telemark au sud de la Norvège, il en restait au
début du XXe siècle une petite centaine, ce qui a permis de mettre en œuvre une
réintroduction dans d’autres pays nordiques. Aujourd’hui, on compte environ 50.000
castors en Norvège[2], et en Europe le nombre s’élève à
500.000.[3]
Si le castor
n’est plus une espèce menacée d’extinction, c’est grâce aux mesures de
protection qui ont été mises en place par les autorités de différents pays
européens. Il ne faudrait cependant pas négliger le rôle de la création littéraire
pour faire évoluer la perception des animaux sauvages. L’œuvre de Mikkjel
Fønhus comporte une longue liste de textes sur les animaux sauvages qui
valorisent les spécificités de chaque espèce. Le texte sur le castor mentionné
par ce billet révèle comment cette espèce se distingue par sa maitrise de
techniques de construction et sa capacité d’agir sur son environnement. Tandis
que le castor modifie le contexte naturel, l’auteur du roman cherche à changer
le paysage mental des lecteurs. Les écritures sont bien entendu différentes,
mais toutes les deux agissent en faveur d’un environnement plus riche.
Jørn Riseth
L’auteur est
Maître de langue du Départements d’Études Nordiques de l’Université de Caen
Normandie.
[1]
Mikkjel Fønhus. Beveren bygger ved
Svartkjenn.(Le castor construit au bord du lac de Svartkjenn) 1937. Roman
non traduit en français.
[2]
Artsdatabanken.Norsk rødliste for arter.https://artsdatabanken.no/Rodliste2015/rodliste2015/Norge/47904
[3]
Karl Frafjord. Store Norske Leksikon.https://snl.no/bever
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