mardi 1 mai 2018

Le castor n’écrit pas de romans, pourtant …


À la fois bûcheron et constructeur de barrages, le castor occupe une place à part dans la faune norvégienne. Le plus grand rongeur de l’hémisphère nord se distingue par son étonnante capacité à modifier son environnement. Les exploits du castor ne sont pas toujours du goût des humains, et leurs relations sont en conséquence souvent conflictuelles. L‘auteur norvégien Mikkjel Fønhus (1894 - 1973), surtout connu pour ses écrits animaliers, a consacré un livre à la vie d’une famille de castors.[1] La question du partage de l’espace entre animaux et humains est au cœur de ce récit datant de 1937.


Pour les représentants de la population locale figurant dans le texte de Fønhus, le castor est une espèce nuisible. En premier lieu, il déclenche la colère d’un paysan en mettant ses champs sous l’eau. Par la suite, il amène un ingénieur forestier au bord du désespoir en créant une pagaille dans sa forêt. Le texte montre que les castors et les humains entrent en conflit parce que le regard qu’ils portent sur le paysage n’est pas le même ; chaque espèce aperçoit le contexte naturel d’une manière qui lui est propre. Tandis que le castor cherche un lieu paisible en bordure d’une rivière ou d’un lac où il peut construire sa cabane, l’homme s’intéresse à la capacité du même paysage à produire de l’herbe ou du bois. Pour exploiter les ressources à son gré, l’homme finit par détruire les constructions du castor et par le contraindre à prendre la fuite.

En écologie, le castor est considéré comme une espèce facilitatrice, c’est-à-dire une espèce qui contribue à améliorer l’existence d’autres organismes vivants. La création des zones humides par le castor, permet à un grand nombre d’oiseaux, d’insectes et d’animaux amphibies de s’installer. Quand il abat des arbres, les berges des rivières et des lacs sont d’avantage exposées à la lumière, et la diversité végétale augmente. Ces connaissances font aujourd’hui partie des bagages culturels sur lesquels nous nous appuyons en lisant le texte de Fønhus. Notre lecture est influencée par une conscience des interactions durables entre le castor et d’autres espèces sauvages. En 1937, le contexte culturel était différent ; les gens vivant dans les campagnes norvégiennes avaient souvent du mal à s’en sortir, et tous les moyens d’augmenter ses revenus étaient bons, y compris la chasse au castor. À l’époque, les nombreux lecteurs des livres de Mikkjel Fønhus étaient probablement inclinés à prendre le parti du paysan et du forestier.

Le castor a disparu de la plupart des pays européens au cours du XIXe siècle. En raison de sa belle fourrure, très recherchée pour faire des chapeaux, il a fait l’objet d’une chasse intensive. Il a failli être exterminé, mais dans de rares endroits en Europe, il a survécu. Dans le Telemark au sud de la Norvège, il en restait au début du XXe siècle une petite centaine, ce qui a permis de mettre en œuvre une réintroduction dans d’autres pays nordiques. Aujourd’hui, on compte environ 50.000 castors en Norvège[2], et en Europe le nombre s’élève à 500.000.[3]

Si le castor n’est plus une espèce menacée d’extinction, c’est grâce aux mesures de protection qui ont été mises en place par les autorités de différents pays européens. Il ne faudrait cependant pas négliger le rôle de la création littéraire pour faire évoluer la perception des animaux sauvages. L’œuvre de Mikkjel Fønhus comporte une longue liste de textes sur les animaux sauvages qui valorisent les spécificités de chaque espèce. Le texte sur le castor mentionné par ce billet révèle comment cette espèce se distingue par sa maitrise de techniques de construction et sa capacité d’agir sur son environnement. Tandis que le castor modifie le contexte naturel, l’auteur du roman cherche à changer le paysage mental des lecteurs. Les écritures sont bien entendu différentes, mais toutes les deux agissent en faveur d’un environnement plus riche.

Jørn Riseth

L’auteur est Maître de langue du Départements d’Études Nordiques de l’Université de Caen Normandie.


[1] Mikkjel Fønhus. Beveren bygger ved Svartkjenn.(Le castor construit au bord du lac de Svartkjenn) 1937. Roman non traduit en français.
[3] Karl Frafjord. Store Norske Leksikon.https://snl.no/bever

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