vendredi 30 novembre 2018

« Sprawl » dans les Îles Féroé


« Sprawl » est une notion utilisée dans l’urbanisme pour désigner une ville post-moderne sans centre et sans organisation apparente, structurée par les autoroutes urbaines qui relient les centres commerciaux et les banlieues. Los Angeles en est l’exemple le plus connu. On n’est pas habitué à associer de telles notions avec les Îles Féroé, plutôt connues pour ses paysages sauvages.


Les montagnes et la mer sont toujours là, mais une nouvelle ère de connexions et de communication arrive dans l’archipel. Tel est le constat d’un voyageur occasionnel qui fait la connaissance de plusieurs tunnels reliant les îles du nord entre eux et qui observe le chantier du dernier projet qui fera la connexion entre la capitale Torshavn et les villes de Toftir et de Strendur sur l’île d’Eysturoy dans un an. Aujourd’hui, on peut admirer la capitale et la belle île voisine de Nólsoy à partir de la colline qui s’élève à côté de Toftir. Elles sont comme à portée de main, mais, pour y aller, il faut une heure et demie de route qui longe les montagnes et fait le détour de plusieurs fjords. Demain, on fera le même trajet en 20 minutes.

Isolation et solitude d’une part, solidarité et communauté de l’autre semblent être des thèmes récurrents dans la littérature et l’art féroïen. La mer en tempête a souvent coupé les liaisons entre les villages et les îles. Dans ces périodes qui ont pu durer plusieurs semaines, le travail et l’entre-aide collectifs ont été nécessaires pour survivre. La mer a cependant toujours été un facteur de liaison aussi, une route à multiples destinations. On l’a empruntée pour partir ; elle a amené des étrangers, des produits exotiques, des inventions.

Les tunnels font abstraction de ces contraintes et possibilités dans l’organisation de la géographie sociale et humaine. La mer restera certes l’élément dominant du paysage, et il faudra toujours la traverser ou la survoler pour aller ailleurs, vers l’Écosse ou le Danemark par exemple. Mais les îles, qui ont chacune eu leur particularité façonnée par la forme des fjords et des montagnes, par les possibilités d’habiter et de vivre qu’elles offrent, formeront désormais un espace unifié où l’économie et la mobilité fondée sur la voiture (et non le bateau ou le ferry) seront les forces dominantes.

Toftir deviendra-t-il une banlieue de Torshavn ? Son pôle d’emploi ou sa zone industrielle ? Le touriste qui visite le festival G ! à Göta restera-t-il sur place pour la nuit s’il peut regagner la capitale en 25 minutes ? Les nouvelles connexions apporteront-t-elles plus d’équité entre les lieux, ou plus de ségrégation ? Nul ne peut le dire pour le moment. Les effets du « sprawl » sont difficiles à prédire, aussi bien à Los Angeles qu’aux Îles Féroé.



Harri Veivo

L’auteur est professeur au Département d’études nordiques de l’Université de Caen Normandie.

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