dimanche 16 décembre 2018

Le spleen des rennes après Noël

Dans le poème Une visite de Saint Nicholas de 1823, Clement C. Moore a équipé le Père Noël d’un traineau tiré par huit rennes (1). Traversant le ciel à une vitesse vertigineuse les ruminants artiodactyles aux bois en folie sont à l’origine d’une vraie success-story. Ce trait de génie du poète américain a permis au généreux barbu de s’imposer comme livreur de cadeaux de Noël au niveau international, et sa part du marché est aujourd’hui si grande qu’on frôle une situation de quasi-monopole. Malgré la place importante que les rennes occupent dans l’imaginaire de Noël, ce billet sera consacré au triste sort qu’attend certains de leurs  congénères au nord de la Norvège après les fêtes de fin d’année.

Depuis cinq ans, un éleveur de rennes, Jovsset Ante Sara, vivant dans le comté de Finnmark, s’est battu contre l’état norvégien pour maintenir son troupeau au nombre de 350 animaux. À l’encontre de l’avis du tribunal de première instance, la cour suprême d’Oslo a décidé au mois de décembre 2017 que l’éleveur doit réduire son troupeau à 75 bêtes. Selon le journal Aftenposten (2), le ministère de l’agriculture exige que l’arrêt soit exécuté avant le 31 décembre de cette année. Depuis 2012, les autorités norvégiennes ont régulé le nombre de rennes dans le Finnmark pour la bonne raison que les pâturages étaient surexploités. Pour retrouver un équilibre écologiquement durable et d’éviter une désertification des terrains l’état a jugé nécessaire d’intervenir.
Jovsset Ante Sara est d’une famille de Samis qui a vécu de l’élevage de rennes depuis de nombreuses générations. Le jeune éleveur de rennes (26 ans) aimerait continuer d’exercer son métier, mais cela ne serait pas rentable avec un troupeau de seulement 75 animaux. Il ne pourra probablement pas transmettre l’héritage à sa fille. Traditionnellement, la vie des Samis est rythmée par la transhumance ; ils passent l’hiver à l’intérieur du pays, tandis qu’en été, ils amènent leurs troupeaux sur la côte. Même si beaucoup de Samis de nos jours ont d’autres métiers et vivent en ville, leur identité culturelle est toujours liée à l’élevage de rennes.
La décision de la cour suprême dans l’affaire Sara a déclenché des réactions exaspérées dans la communauté, et Aili Keskitalo, présidente de Sámediggi, l’assemblée élue par le peuple Sami, pense que l’état norvégien devrait adopter une politique plus souple à l’égard des petits éleveurs. Les organisations des éleveurs de rennes et le comité qui a élaboré la proposition de loi sur la réduction du nombre de rennes, ont aussi réclamé une exception pour éleveurs propriétaires de petits troupeaux, mais l’état norvégien fait la sourde oreille.       
Grâce à une collecte, l’affaire de Jovsset Ante Sara a été transmise au comité de droits de l’homme de l’ONU à Genève, mais celui-ci n’a pas encore rendu son avis. La requête de report déposée par Sara en attente de l’avis de l’ONU a été rejetée par le ministère de l’agriculture, qui apparemment a l’intention de procéder par un abattage forcé dans les semaines à venir. Si les autorités norvégiennes persistent dans leurs résolutions, un enlisement des relations avec les Samis risque inévitablement de se produire. Entre les principes écologiques et le respect d’une minorité autochtone, la Norvège saura-t-elle choisir ?
En attendant la suite des événements, nous saluerons les rennes que la culture populaire a subtilement réussi à associer aux fêtes de fin d’année. Nous vous proposons d’écouter le groupe Dizzie Tunes chanter Rudolphe le petit renne au nez rouge en version norvégienne (3).  Toute l’équipe du blog Vue du Nord vous souhaite de très bonnes fêtes, en espérant vous retrouver en 2019.
Jørn Riseth
L’auteur est Maitre de langue de Norvégien au Département d’Études Nordiques  de l’université de Caen Normandie.

(1) Clement Clarke Moore.  A Visit From St. Nicholashttps://www.youtube.com/watch?v=cEkZK9NZGFg
(3)Dizzie Tunes. Rudolph er rød på nesen: https://www.youtube.com/watch?v=YR0z5v6z5Ic

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