La langue française est truffée d’expressions zoomorphes qui servent à dresser
des portraits d’humains. Dans certains cas, le comportement des animaux est considéré comme un
idéal que nous aspirons à atteindre ; on peut par exemple se défendre
comme un lion, être fidèle comme un chien et aussi retomber comme un chat sur
ses pattes. Dans d’autres cas, les expressions associent le trait d'un animal aux failles du caractère humain ;
personne ne souhaite de se faire prendre pour un pigeon, avoir une tête de
linotte, ou être comme une poule qui a trouvé un couteau. Ce billet, qui n’a
pas la prétention de déterminer s’il est préférable d’être un chaud lapin ou
pas, est consacré à la question de savoir si l’on peut prendre les animaux comme exemple pour comprendre
la sexualité humaine.
Lorsque Sana, l’une des protagonistes de la série norvégienne SKAM (Honte) diffusée par la télé
norvégienne NRK, demande à son camarade de classe Isak si l’homosexualité est
compatible avec les lois de l’évolution, celui-ci ne sait pas trop quoi répondre ;
sa sortie du placard va se faire plus tard sans avoir recours à Darwin. Selon
Sana, l’homosexualité serait une impasse d’un point de vue génétique ; les
gays auraient dû disparaitre il y a de millions d’années si la capacité de
reproduction était le seul critère de sélection. L’évocation de ce paradoxe par
une série destinée aux adolescents est un bel exemple de la capacité de la
culture populaire de soulever une réflexion sur les grandes questions de la vie,
sans forcément donner les réponses.
Surtout connu pour sa recherche sur le lien entre la sexualité et la religion, Dag Øistein Endsjø de l’Université d’Oslo
a rappelé que les relations sexuelles ne sont pas toujours motivées par le
besoin de procréation, et que par exemple la plupart des couples hétérosexuels
font l’amour beaucoup plus souvent que les trois fois qui sont nécessaires pour
transmettre leurs gènes à la génération suivante. Dans une interview du journal en ligne FRAMTIDA.NO à l’occasion de la diffusion de la série SKAM, il confirme qu’il s’est aujourd’hui avéré que les relations
sexuelles entre individus du même sexe existe chez un grand nombre d’espèces
différentes.[1]
Il ajoute que l’homosexualité pourrait également s’expliquer en termes
évolutionnistes. Dans une communauté de familles, il se peut que l’existence de
couples de deux femelles ou de deux mâles permettrait de mieux s’occuper de la
progéniture du groupe.
Dans
la même interview, le zoologiste Petter Bøckmann réplique que Sana et Isak auraient dû
trouver une réponse à cette question dans leurs manuels, mais, admet-il, il
faut du temps pour que les résultats de la recherche trouvent leur place dans
les ouvrages scolaires. Depuis quelques années, les études scientifiques sur la
sexualité et l’évolution ont fait des progrès considérables, et selon Bøckmann,
il est maintenant connu que les relations sexuelles ont d’autres fonctions que
la reproduction aussi dans le monde des animaux. Chez beaucoup d’espèces les
liens sexuels sont importants pour établir des hiérarchies et créer des
solidarités, et les exemples de relations entre animaux du même sexe sont
nombreux.
En
2006, le Musée de l’histoire naturelle à Oslo a organisé la première exposition
au monde sur le thème de l’homosexualité des
animaux dont l’objectif était de contrecarrer l’idée reçue selon laquelle l’homosexualité
chez les humains serait « contre nature ». Petter Bøckmann, qui était
responsable de la mise en place de l’exposition, s’est rendu compte que les
opinions sur histoire naturelle sont parfois controversées. Les réactions de
certaines églises fondamentalistes ont été vives, et le pasteur Jan Aage Torp a
proposé que plutôt d’utiliser les impôts des contribuables à organiser ce genre
d’exposition, on devrait aider les animaux à abandonner leurs pratiques
sexuelles « perverses et déviantes ».[2]
Ainsi l’éducation sexuelle des animaux pourrait devenir une activité de très
grand envergure en Norvège, mais étant donné que la faune norvégienne compte environs
90 espèces de mammifères, 231 espèces d’oiseaux, 15.000 espèces d’insectes, 44
espèces de poissons d’eau douce, et 6 espèces d’amphibies, nous sommes d’avis
qu’il serait peut-être préférable de commencer par les grenouilles, les crapauds
et les salamandres.[3]
Comme ils ne sont que six, ce groupe servirait de cobayes.
Pour terminer
ce papier, nous citons la chanson En
cloque de l’album Morgane de toi (1983) que le chanteur
compositeur Renaud a vendu à 1 480
000 exemplaires : [4]
Parfois ce qui me
désole, ce qui me fait du chagrin
Quand je regarde son ventre, puis le mien
C’est que même si je devenais pédé comme un phoque
Moi, je serai jamais en cloque
Quand je regarde son ventre, puis le mien
C’est que même si je devenais pédé comme un phoque
Moi, je serai jamais en cloque
La question que nous nous posons est de savoir si le public français serait
encore aujourd’hui prêt à applaudir de telles paroles. Nous constatons malheureusement
que selon une récente étude effectuée par l’Institut français d’opinion public
(Ifop), plus de la moitié des personnes lesbiennes, gays, bi et trans ont déjà été
victimes d’une agression physique ou verbale.[5]
Jørn Riseth
L’auteur est Maitre
de langue de norvégien au Département d’études nordiques de l’université de
Caen Normandie.
[1]
FRAMTIDA.NO https://framtida.no/2016/10/28/skam-sana-korleis-forklarer-du-homofili-med-evolusjonsteori
[3]
Store Norske Leksikon. https://snl.no/.taxonomy/96
[4] Renaud. En cloque https://www.youtube.com/watch?v=B6iJ5UzX5yU
[5] Voir article de Virginie Ballet, Libération du 13 Mai 2019. https://www.liberation.fr/france/2019/05/13/plus-de-la-moitie-des-lgbt-ont-deja-ete-victimes-d-une-forme-d-agression_1726617
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