mercredi 1 avril 2020

Le Covid-19 : une crise majeure dans notre rapport à la nature


En 1618, l’évêque de Stavanger, Laurids Scavenius, a publié une carte montrant la partie sud de la Norvège. Au milieu de celle-ci, on voit un espace blanc où seulement un grand lac est dessiné. Cette région est nommée Telle Marck, mais à part cela on n’y trouve aucune information.[1] Comme cette partie du pays ne faisait pas partie des vastes paysages qui étaient placés sous son autorité, on peut comprendre que l’évêque l’a négligée, mais sa carte a néanmoins été copiée plusieurs fois par la suite. Pendant plus de cent ans, l’imaginaire des Européens était marqué par cette représentation de la géographie norvégienne, un pays situé entre mers inconnues et montagnes secrètes.[2]


Encore au XVIIe siècle, nos aïeux nordiques voisinaient donc le grand inconnu. À notre époque, on ne trouve plus aucun endroit qui n’est pas marqué, d’une manière ou d’une autre, par l’action humaine. Une recherche effrénée de ressources naturelles a mené les Norvégiens jusqu’aux territoires les plus inhospitaliers de la planète. Le regard que nous portons sur la nature a beaucoup évolué ; alors qu’elle était autrefois perçue comme forte et menaçante, elle apparaît aujourd’hui comme fragile et imprévisible à la fois. 

 

La carte marine élaborée au XVIe siècle par le dernier archevêque de Suède., Olaus Magnus, montre que la Mer de Norvège grouillait d’animaux effroyables. La carte était dotée d’illustrations pour prévenir les marins contre le danger que représentaient ces monstres marins. Aujourd’hui, les animaux fantastiques sont relègués aux film de fiction, et nous pensons être en mesure de contrôler toutes les autres espèces. Nous nous sommes emparés d’une position dominante parmi les animaux, et nous repoussons les animaux sauvages toujours plus loin. La biologiste Anne Sverdrup-Thygeson de l’Université norvégienne des sciences de la vie NMBU, s’inquiète du fait que les humains prennent trop de place au détriment des animaux sauvages. Interviewée par la radio norvégienne NRK, elle explique que la réduction de la biodiversité permet seulement aux espèces les plus robustes de survivre et que celles-ci sont souvent porteuses de maladies.[3]

 

 Olaus Magnus. Carta Marina. 1539. 

 

Au niveau mondial, les populations de vertébrés - poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles - ont chuté de 60% en 50 ans. Selon un rapport élaboré par le World Wildlife Fund en 2018, la perte et dégradation des habitats des animaux sauvages sont liées aux activités humaines. L’agriculture intensive, la dégradation des sols, la surpêche, le dérèglement climatique et la pollution plastique sont les principales menaces qui pèsent sur la biodiversité.[4] Selon le biologiste Dag O. Hessen de l’Université d’Oslo, cette évolution augmente le risque de transfert de maladies entre les animaux sauvages et les humains. Privés de leurs habitats, les animaux sauvages entrent plus facilement en contact avec les humains, et Hessen estime que l’apparition du coronavirus est directement liée à cette promiscuité.[5]Le virus serait passé d’une chauve-souris à l’humain par l’intermédiaire du pangolin, petit mammifère en voie d’extinction, consommé dans certains pays asiatiques.  

 

Si l'évolution de l'épidémie du coronavirus le permet, le Congrès mondial de la nature aura lieu à Marseille au mois de juin.[6] Espérons que ce rendez-vous sera l’occasion de reconnaitre que la protection de la biodiversité doit être une priorité absolue. En 2020, nous ne pouvons pas continuer à croire à l’infinitude de la nature.

 

Jørn Riseth
L’auteur est Maitre de langue de norvégien au Département d’études nordiques de l’université de Caen Normandie.



[1] Orthographe actuelle : Telemark

[2] Aftenposten. Det ukjente Norge. Article du 11 octobre 2014. https://www.aftenposten.no/norge/i/7lQg9/det-ukjente-norge

[3] NRK. Viruset kan være framprovosert av mennesker. Article du 26 mars 2020. https://www.nrk.no/klima/viruset-kan-vaere-framprovosert-av-mennesker-1.14957874 

[4] WWF. Rapport Planète Vivante 2018. https://www.wwf.fr/vous-informer/actualites/rapport-planete-vivante-2018

[5] NRK. Viruset kan være framprovosert av mennesker. Article du 26 mars 2020. https://www.nrk.no/klima/viruset-kan-vaere-framprovosert-av-mennesker-1.14957874




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