En 1618,
l’évêque de Stavanger, Laurids Scavenius, a publié une carte montrant la partie
sud de la Norvège. Au milieu de celle-ci, on voit un espace blanc où seulement
un grand lac est dessiné. Cette région est nommée Telle Marck, mais à part cela
on n’y trouve aucune information.
Comme cette partie du pays ne faisait pas partie des vastes paysages qui
étaient placés sous son autorité, on peut comprendre que l’évêque l’a négligée,
mais sa carte a néanmoins été copiée plusieurs fois par la suite. Pendant plus
de cent ans, l’imaginaire des Européens était marqué par cette représentation
de la géographie norvégienne, un pays situé entre mers inconnues et montagnes
secrètes.
Encore
au XVIIe siècle, nos aïeux nordiques voisinaient donc le grand inconnu. À notre
époque, on ne trouve plus aucun endroit qui n’est pas marqué, d’une manière ou
d’une autre, par l’action humaine. Une recherche effrénée de ressources
naturelles a mené les Norvégiens jusqu’aux
territoires les plus inhospitaliers de la planète. Le regard que nous portons
sur la nature a beaucoup évolué ; alors qu’elle était autrefois perçue comme
forte et menaçante, elle apparaît aujourd’hui comme fragile et imprévisible à
la fois.
La carte
marine élaborée au XVIe siècle par le dernier archevêque de Suède., Olaus Magnus, montre que la Mer de Norvège grouillait d’animaux
effroyables. La carte était dotée d’illustrations pour prévenir les marins
contre le danger que représentaient ces monstres marins. Aujourd’hui, les animaux fantastiques sont relègués aux film de fiction, et nous pensons être en mesure de
contrôler toutes les autres espèces. Nous nous sommes emparés d’une position
dominante parmi les animaux, et nous repoussons les animaux sauvages toujours
plus loin. La biologiste Anne Sverdrup-Thygeson de l’Université norvégienne des
sciences de la vie NMBU, s’inquiète du fait que les humains prennent trop de
place au détriment des animaux sauvages. Interviewée par la radio norvégienne
NRK, elle explique que la réduction de la biodiversité permet seulement aux
espèces les plus robustes de survivre et que celles-ci sont souvent porteuses
de maladies.
Au niveau mondial, les populations
de vertébrés - poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles - ont
chuté de 60% en 50 ans. Selon un rapport élaboré par le World Wildlife Fund en 2018,
la perte et dégradation des habitats des animaux sauvages sont liées aux activités
humaines. L’agriculture intensive, la dégradation des sols, la surpêche, le dérèglement
climatique et la pollution plastique sont les principales menaces qui
pèsent sur la biodiversité.
Selon le biologiste Dag O. Hessen de l’Université d’Oslo, cette évolution augmente
le risque de transfert de maladies entre les animaux sauvages et les humains.
Privés de leurs habitats, les animaux sauvages entrent plus facilement en contact
avec les humains, et Hessen estime que l’apparition du coronavirus est directement
liée à cette promiscuité.Le virus serait passé d’une chauve-souris à l’humain par l’intermédiaire du
pangolin, petit mammifère en voie d’extinction, consommé dans certains pays
asiatiques.
Si l'évolution de l'épidémie du coronavirus le permet, le Congrès mondial de la nature aura lieu à Marseille au mois de juin. Espérons
que ce rendez-vous sera l’occasion de reconnaitre que la protection de la
biodiversité doit être une priorité absolue. En 2020, nous ne pouvons pas continuer à croire à
l’infinitude de la nature.
Jørn Riseth
L’auteur est Maitre de langue de norvégien au Département d’études nordiques de
l’université de Caen Normandie.
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