Nya Argus, une revue littéraire finlandaise, a demandé pour son dernier numéro à quelques auteurs de nommer leurs ouvrages préférés. Dans le palmarès ainsi constitué, le lecteur curieux peut trouver, à côté de noms comme Joseph Conrad, Georges Perec et Ingeborg Bachmann, Le livre de Job, choisi par Mikael Enckell. L’importance accordée à ce récit biblique n’est pas exceptionnelle. De nombreux auteurs nordiques s’inspirent toujours de l’héritage littéraire de la religion chrétienne, ce qui n’est pas sans poser des problèmes dans l’enseignement en études nordiques à l’université.
Le romancier
suédois Pär Lagerkvist, prix Nobel de 1951, a consacré une grande partie de sa
carrière à la réécriture des récits bibliques. Si les titres de ses romans
affichent clairement les sources à l’instar de Barabbas (1950) et Det
heliga landet (trad. La Terre sainte, 1964), les liens intertextuels
et culturels qui rattachent la création moderne et contemporaine à la tradition
chrétienne peuvent souvent être plus obliques. Le livre de Job est le
modèle pour Jopi-serkun kirja (Le livre du cousin Jopi, 2005, non
trad.) de l’auteur finlandais Pasi Linnus par exemple, et le suédois Torgny
Lindgren raconte dans Hummelhonung (trad. Miel de bourdon, 1995) l’histoire
de Caïn et Abel à travers le destin de deux frères vivant dans un hameau isolé
dans le Norrland. Chez la poétesse finlandaise Pauliina Haasjoki, une réflexion
sur l’équilibre des forces naturelles sur la Terre dans Planeetta (Planète,
2016, non trad.) est accompagnée d’une allusion à la première lettre aux
Corinthiens. Ce ne sont que quelques exemples parmi des centaines.
Dans mes
cours sur la littérature nordique, je demande souvent aux étudiants s’ils reconnaissent
ces intertextes bibliques. Peu de mains se lèvent. Connaître la Bible serait pourtant
nécessaire pour identifier et comprendre une partie non-négligeable des
figures, allusions et intertextes qui émaillent les romans et les poèmes
nordiques, y compris des auteurs les plus sécularisés.
Ignorer ces
éléments prive non seulement le lecteur d’une partie de la richesse de l’œuvre,
mais le rend aveugle au positionnement de la littérature dans le champ culturel
et social. L’histoire des relations entre l’Église et l’État français a été tumultueuse et conflictuelle. Ce n’est pas
le cas des pays nordiques où les pasteurs ont été très souvent des porteurs de
la pensée des Lumières et l’État a délégué une partie de ses
fonctions à l’Église dans un esprit de coopération. Mentionnons à titre
d’exemple qu’environ 70% de jeunes Danois et 80% de jeunes Finlandais font leur
confirmation aujourd’hui. S’ils sont souvent infus d’un esprit religieux au
moment de s’agenouiller à l’autel après le stage d’une semaine qui précède le
rite, le sentiment disparaît en général dans les mois qui suivent. Reste
cependant la connaissance des récits bibliques, des Dix commandement, du Notre
Père et d’autres textes qui nourriront l’imagination des futurs écrivains et
que leurs lecteurs reconnaitront sans difficulté.
Le laïcité
français tend à confiner les religions dans la sphère privée, alors que le
sécularisme nordique leur laisse une place importante dans la vie publique. La
littérature nordique exprime cette réalité. Si vous voulez connaître les
lettres nordiques, commencez par la Bible !
Harri Veivo
L’auteur est professeur au Département d’études nordiques de
l’Université de Caen Normandie.
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