dimanche 15 novembre 2020

Toponymes bilingues norvégiens/sames : le refus de la municipalité de Narvik

Le 22 septembre 2016, la ville de Narvik située dans l’arctique norvégien adoptait officiellement l’ajout de son toponyme en same du Nord : Áhkánjárga. Cette mesure votée par le conseil municipal mettait un terme à un débat récurrent depuis le tournant des années 2000, et ce après un premier refus de l’administration précédente en 2011. Toutefois, si le nom de la ville en elle-même avait alors formellement été gratifié d’un affichage bilingue, celui de la municipalité éponyme demeurait lui toujours exclusivement norvégien.

La question d’étendre l’appellation bilingue à la municipalité dans son ensemble devait ainsi faire l’objet d’un vote à l’automne 2020. Chargé d’examiner ce dossier en juin dernier par l’actuel conseil municipal, le conseiller Lars Skjønnås s’est attiré de nombreuses critiques à la mi-septembre après avoir émis un avis défavorable sur ce point. Le conseil municipal aura finalement pris le parti de s’aligner sur le compte-rendu de Skjønnås le 1er octobre 2020, en votant à 24 voix contre 15 la non-adoption de la proposition.

Le compte-rendu produit par le conseiller pointait entre autres du doigt les coûts de changement d’affichage qu’engendrerait l’ajout du nom same à celui de Narvik sur la totalité de la municipalité. Des coûts qui, selon Lars Skjønnås, ne s’avéraient pas justifiés compte tenu de la faible population d’origine Same vivant sur ce territoire[1]. Il estimait par ailleurs que rien dans la loi ne contraignait la municipalité à opérer cet ajout, point avec lequel est entrée en désaccord la cheffe de la « Commission de recours sur les affaires de noms de lieux » et professeure de Droit Marit Halvorsen. Interrogée par le média de service publique NRK, cette dernière a souhaité rappeler les devoirs qui incombent aux entités territoriales d’introduire des toponymes en langues sames et kvènes[2] là où ils sont usités, et ce sans aucun minima d’utilisateurs. Ces dispositions sont effectivement garanties en Norvège par la « loi sur les noms de lieux » de 1990 et de son amendement par le décret du 25 mai 2017.

Le résultat du vote du 1er octobre a été déploré par plusieurs représentants du Parlement same de Norvège, dont Astri Dankertsen qui est à la tête du groupe Sálto sámesiebrre-NSR[3], et pour qui cette décision nuit à la visibilité des langues sames dans la région. La municipalité de Narvik se situe en effet à la jonction des aires linguistiques du same de Lule et du same du Nord, aujourd’hui les deux plus grandes représentantes de la famille des langues sames. Si ces deux langues bénéficient désormais d’une reconnaissance officielle ainsi que de mesures visant à consolider leur emploi, la mémoire de la politique de « norvégianisation » forcée conduite par l’État norvégien de la fin du 19ème siècle jusqu’en 1945 reste toujours vivace au sein des communautés Sames du pays.

Par-delà de simples considérations matérielles d’affichage publique, les débats autour de l’adoption de noms de lieux multilingues dans la moitié nord de la Norvège traduisent des tensions chroniques entre communautés linguistiques et culturelles[4]. On pourra citer à titre d’exemple la pancarte bilingue de la municipalité de Kåfjord/Gáivuotna (same du Nord) qui s’était fait cribler de balles en 1992 peu après son installation, ou encore celle de la ville de Bodø/Bådåddjo (same de Lule) ayant été vandalisée et volée à de multiples reprises de 2011 à 2012.  

Alexandre Chollet
L'auteur est doctorant à l'école doctorale 558 Histoire, Mémoire, Patrimoine, Langage de l’Université de Caen Normandie.



[1] Le conseiller s’appuie sur les chiffres publiés dans un rapport de l’institut de recherche NORCE à l’automne 2019, indiquant que 251 habitants de la municipalité sont inscrits sur les listes électorales du Parlement same (soit 1,1 % des habitants de la municipalité). Bård Kårtveit, l’un des trois auteurs de ce rapport, s’est exprimé le 26 septembre 2020 dans la rubrique « Nordnorsk Debatt » du journal Nordlys pour critiquer l’argument de Skjønnås en rappelant que ces chiffres sont un très mauvais indicateur de la proportion réelle de citoyens d’origine Same vivant à Narvik.

[2] Le peuple Kvène, dont la langue traditionnelle est le kvène (une langue finnoise), représente une ethnie minoritaire originaire du nord de la Finlande et de la Suède ayant émigré vers le nord de la Norvège entre le 16ème et le 19ème siècle.

[3] En norvégien Salten sameforening-NSR, soit « l’Association Same [du district] de Salten », elle-même une division de la NSR qui est la plus grande association Same du pays. Cette dernière est à la présidence du Parlement same de Norvège depuis sa création en 1989.

[4] Pour en apprendre plus sur la situation des Sames en Fennoscandie, voir le billet de Marie Cazes du 15 février 2018 : La question des Samis.

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