vendredi 31 mai 2019

La Courabou contre le Canada


Dimanche dernier, la Finlande a gagné la coupe du monde de hockey sur glace. Contre toute attente, l’équipe finlandaise, qu’on considérait avant le tournoi une des plus faibles dans l’histoire du pays, a battu d’abord la Suède dans les quarts de finale, ensuite la Russie et puis le Canada en finale avec trois buts contre un. Au-delà des résultats, qui sont somme toute anecdotiques pour tous les autres sauf les supporteurs inconditionnels, le succès de l’équipe constitue un récit intéressant grâce aux commentaires qu’il a provoqués.


Le philosophe Frank Martela considère que la capacité de jeunes hommes finlandais à exprimer leurs sentiments mieux que les générations précédentes est un facteur important dans la réussite de l’équipe. Si l’homme traditionnel finlandais avait l’habitude de serrer les dents et cacher les émotions « difficiles », les jeunes n’ont pas ces complexes, ce qui leur donne plus de résilience et plus de moyens pour faire évoluer leur jeu au fur et à mesure que les adversaires deviennent plus difficiles.[1]
Un autre commentaire intéressant vient de la Suède. Dusan Umicevic de SVT (chaîne publique de Suède) voit dans la victoire une vraie leçon morale : « Être ridiculisé, mis en question et marginalisé peut stigmatiser pour toute la vie. Mais un groupe d’hommes peut riposter. »[2] On trouve dans cette interprétation le credo de l’État-providence suédois fondé sur la tolérance et la solidarité. L’équipe finlandaise incarnerait ainsi les valeurs que son voisin peinerait à trouver aujourd’hui à en croire les chroniqueurs suédois qui ont fustigé la paresse des vedettes millionnaires de leur propre équipe. Dans Aftonbladet, Mats Wennerholm a même adopté des tons bibliques : selon lui, l’entraîneur finlandais Jukka Jalonen aurait réussi à changer l’eau en vin.[3]
Depuis le XIXe siècle, le sport a été un moyen important dans l’éducation morale et physique des nations. C’est dans l’effort physique que les individus ont révélé la force de leur caractère et les collectivités leur esprit de solidarité. Les commentaires que la victoire de la Finlande a suscités montrent qu’il continue à avoir cette fonction, bien que le sport professionnel globalisé n’ait pas beaucoup à voir avec l’amateurisme éclairé du siècle dernier. La morale, les normes sociales et la religion se trouvent toujours mobilisés pour qualifier les exploits.
Curieusement, le héros de l’équipe finlandaise, l’attaquant Marko Anttila (203 cm et 104 kg), fût baptisé « Mörkö » pendant la coupe. Si le mot signifie tout simplement « monstre », elle prenait une autre dimension lorsque les supporters ont choisi de l’illustrer par la figure de Courabou (Mårran en suédois et Mörkö en finnois) des livres Moumine de Tove Jansson. Citons pour terminer la page wikipedia à ce sujet : « [Courabou] fait peur à tout le monde car elle a la réputation de glacer littéralement ceux qu’elle approche ; mais il est possible qu’elle soit juste à la recherche d'amour. ». On n’associe pas souvent l’amour avec le hockey sur glace. Les messages véhiculés par le sport n’ont pas cessé de nous intriguer.

Harri Veivo
L’auteur est professeur au Département d’études nordiques de l’Université de Caen Normandie.




[1] https://yle.fi/uutiset/3-10803975
[2] https://www.svt.se/sport/ishockey/finska-laget-har-lart-oss-en-laxa-rakna-aldrig-ut-nagon
[3] https://www.aftonbladet.se/a/Qowvy8/promo

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