lundi 15 février 2016

Vue du Nord - le blog

Les temps sont difficiles aujourd’hui, en Europe et dans les pays nordiques. La Suède a recommencé les contrôles d’identité à la frontière danoise. Cette décision complique la vie de milliers de personnes qui voyagent chaque jour entre Copenhague et Malmö, villes destinées à former une région de plus de 3 millions d’habitants, reliées par le pont qui enjambe l’Øresund depuis l’an 2000. En réponse, et pour éviter de devenir le cul-de-sac dans le périple des migrants, le Danemark a durci sa politique d’immigration. La tolérance et l’égalité, valeurs du modèle nordique tant vanté, seraient-elles en train de disparaître ?


Une telle lecture des faits serait cependant superficielle et risquerait de prêter à des interprétations erronées. Les virages effectués par les gouvernements sont déconcertants, mais cette évolution doit être située dans une continuité historique qui permet de mieux la comprendre et de mesurer sa portée. Elle doit être l’objet d’un questionnement en profondeur, travail nécessaire pour toute prise de position critique.

Dans quelle mesure la politique actuelle suédoise résulte des transformations qui ont commencé dans les années 70, période où le modèle social de l’État-providence était l’objet de critique pour la première fois ? La situation actuelle est-elle la conséquence d’un deuil manqué – deuil justement de ce modèle social de "folkehemmet" qui règne encore dans les esprits, alors qu’il a disparu de la réalité politique et économique ? Dans quel sens la réaction de Copenhague reflète des aspects – peu visibles aux yeux des étrangers – de l’identité danoise, construite dans une grande mesure après les événements catastrophiques du début du 19e siècle, dont la traumatique guerre contre la Prusse en 1864 fût le dernier et le plus marquant ?

Et quel poids doit-on donner à de telles décisions ponctuelles dans une région où la communication à travers le détroit qui sépare les deux pays a toujours eu lieu. N’oublions pas que la quasi-totalité des juifs danois ont pu gagner la Suède pour échapper aux persécutions nazies. Le lien entre les deux pays peut subir les aléas de la politique mondiale ; il ne serait pas rompu pour autant.

Aujourd’hui, il est tentant de dire que l’idée d’Europe est perdue. Mais peut-être est-ce dans la crise que la complexité du Vieux Continent se révèle. Il se peut que nous ayons projeté trop facilement sur l’ensemble de ce territoire riche en histoires, traditions et expériences diverses nos propres conceptions issues d’un cadre national particulier qu’on aimerait considérer universel. La vision de l’Europe, vu du Nord ou du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, n’est pas la même. Et pourtant nous vivons sur le même continent.

Le blog Vue du Nord cherche à nourrir par des éléments historiques, culturels, sociaux et politiques les discussions portant sur les pays nordiques et leur place en Europe et dans le monde. Soyez les bienvenu(e)s à lire ces billets et à nous envoyer vos commentaires !

Pour finir, une anecdote sur ce thème des frontières nordiques. Björn Geir Harsson, géologue norvégien à la retraite, a proposé à l’État norvégien d’offrir le sommet de Halti en cadeau à la Finlande à l’occasion de la centième fête d’indépendance de cette dernière. Actuellement, Halti est la plus haute montagne de la Finlande, mais son point culminant est du côté norvégien à 20 mètres de la frontière. La Finlande a poliment refusé sous prétexte que, de toute façon, dans ce coin paisible de Laponie, les frontières n’existent pas.

Harri Veivo

L’auteur est professeur au Département d’Études Nordiques de l’Université de Caen Normandie.

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