Per Olov Enquist, écrivain suédois traduit, lu et reconnu dans
de nombreux pays, lauréat du prix August à deux reprises1,
est décédé le 25 avril dernier. Le natif de Hjoggbölen dans le
Norrland laisse derrière lui une large œuvre comme romancier,
dramaturge, metteur en scène, biographe et journaliste.
L’ambition littéraire de Per Olov Enquist était de raconter
l’évolution de l’Europe depuis la période des Lumières,
faisant le récit d’évènements et de parcours individuels portant
une signification particulière. Il maîtrise tôt le genre du
roman-documentaire, par exemple dans L’extradition des Baltes
publié en 1968 en Suède2,
dans lequel il utilise à la fois de vrais documents et de documents
inventés afin de raconter un épisode réel, important et méconnu
de l’histoire de Suède, n’opposant pas son rôle de journaliste
à celui d’écrivain. Plus tard, il met en avant le travail de
femmes conspuées dans le roman-documentaire Blanche et Marie3, où Blanche Wittman, patiente connue pour avoir été maltraitée par
le docteur Charcot, devient l’assistante de Marie Curie et inscrit
dans la mémoire collective son travail par le biais de carnets
personnels, dans une curieuse interaction entre littérature et
science.
Per Olov Enquist portait une réflexion sur l’acte de coucher les
évènements sur le papier, racontant par exemple qu’être au
centre des évènements ne les rendait que plus compliqués à
appréhender. « La foule cache l’histoire »,
constate-t-il dans Une autre vie4 lors des tragiques Jeux Olympiques de Munich 1972 auxquels il
assiste comme journaliste. Il en est de même lors de la chute du mur
de Berlin en 1989, soir au cours duquel il ne « comprend
rien »5,
observant la foule qui se rassemble sur la place Venceslas à Prague
où il se trouve. Peu adepte des postures, Enquist ne se complaisait
pas dans un rôle de narrateur qu’il occupait pourtant bien, il n’y
avait chez lui pas de limite à l’introspection.
L’œuvre du natif du Norrland offre un recul et une analyse
cathartiques. Il n’a pas eu honte de raconter son alcoolisme et sa
« renaissance », par une nuit d’été islandaise en
1990, dans Une autre vie. Il n’a pas eu honte non plus de se
dévoiler dans la douleur de la maladie, de l’oubli, des mots qui
ne s’assemblaient plus quand il essayait d’écrire sans y
parvenir lorsque la radio suédoise P1 l’interrogeait sur ce
qu’était selon lui la douleur.
Son travail a pris différentes formes artistiques :
L’extradition des Baltes devient deux années après sa
publication un film, il travaille en outre sur les scénarios des
longs-métrages « Pelle le Conquérant » et « Hamsun »,
dont le manuscrit a été traduit en français. Il a su être un
dramaturge rencontrant régulièrement le succès, parfois l’échec,
un journaliste et débatteur reconnu, qui a commis l’erreur de
soutenir les rouges au Viet Nâm. Il s’est interrogé
rétrospectivement sur ce soutien qui lui vaut alors de vives
critiques, notamment de la part de Bertil Ohlin, le leader politique
que sa mère admirait plus que de raison, se sentant honteux à
l’égard de cette figure maternelle autoritaire et omniprésente
dans sa vie et dans son œuvre. Il faut lire Une autre vie et
Le livre des paraboles6,
respectivement publiés en 2008 et en 2013 en Suède, pour comprendre
la réussite avec laquelle Enquist comme auteur et comme homme se
dévoile sous différents aspects, dans sa vie personnelle, dans son
engagement public, dans ses réussites et ses erreurs qui font partie
d’un même ensemble chez lui : le cours de la vie.
On a rencontré chez Enquist un capitaine Némo ressemblant pas si
étrangement à un père disparu lorsqu’il était très jeune
encore. Un doute sur l’identité entre lui et son frère aîné,
mort en bas âge. Une mère institutrice et stricte évangéliste qui
n’avait jamais eu d’élève plus doué pour l’écriture que son
fils déjà à ses dix ans. On a aussi rencontré une femme plus âgée
à qui il avait promis que jamais il ne raconterait leur aventure, la
première pour lui. Des personnages racontés avec une bienveillance
qui caractérise son univers littéraire et caractérisait Enquist
lui-même.
Théo Fouéré - étudiant en deuxième année de Master LLCER parcours études nordiques à l'université de Caen
1 Pour
« Le médecin personnel du roi » et « Une autre
vie »
3 Blanche
et Marie, traduit par Lena Grumbach et
Catherine Marcus, Arles, Actes Sud, 2005
5 Ibid
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