jeudi 1 avril 2021

Lumière sur une saga islandaise : La Hálfdanar saga Brönufóstra, ou l'histoire de Hálfdan, le Pupille de Brana.

Les sagas islandaises sont sans nul doute l'une des sources littéraires les plus consultées par les historiens pour comprendre l'organisation sociale de la Scandinavie ancienne et de l'Islande médiévale. Certaines comme les konungasögur (sagas royales), les íslandingasögur (sagas des islandais), ou les biskupasögur (sagas d’évêques) sont d'une valeur inestimable pour les nombreux détails historiques qu'elles nous transmettent. D'autres en revanche ont été écrites pour le divertissement, comme c'est le cas des fornaldarsögur (sagas des temps anciens). Ces textes nous intéressent pour les motifs littéraires qu'ils contiennent et sont un formidable témoin de la transmission de mythes ou bien de personnages connus des sources historiques, passés à la postérité littéraire. C'est le cas des berserkir, ces terribles guerriers-fauves, transformés par le genre en êtres mauvais souvent doués de pouvoirs magiques [1]. Troll, dragons et monstres marins font partie du bestiaire récurrent que croise le lecteur en se plongeant dans ces textes. 

 La saga qui nous intéresse ici est la Hálfdanar saga Brönufóstra, l'histoire de Hálfdan, le Pupille de Brana. Les plus vieux manuscrits qui le renferment datent du XVe siècle [2]. Ils appartiennent à la collection Árni Magnússon et sont répertoriés sous les cotes AM 571, AM 589 e et AM 152. Cette histoire narre les aventures d'un adolescent fougueux, fils du roi légendaire de Danemark nommé Hringr. Suite à la dévastation de la forteresse du roi par des vikings, le héros doit fuir accompagné de sa sœur en Suède, au Bjarmaland. De là commence une odyssée qui mènera le jeune homme jusqu'au Vinland, où il devra combattre rudement contre des géants. Là il rencontre Brana, petite-fille du roi Vilhjálmr, et fille du géant Járnhauss. Hálfdan séjourne un temps dans sa caverne avant de repartir pour l'Angleterre. Brana lui offre plusieurs objets magiques qui l'aideront dans ses aventures. Hálfdan finit par venger son père Hringr en tuant les vikings qui ont pris le contrôle du Danemark. L'histoire se termine par un mariage heureux entre le héros et la princesse Marsibil, fille du roi Óláfr qui règne en Angleterre. Cette saga a fait l'objet d'une analyse de Peter A. Jørgensen pour Tidskrift för Nordiska Folkminnesforskning [3] au sujet du combat de Hálfdan contre les géants. Il y voit une influence du poème vieil anglais Beowulf et du combat de ce personnage contre la mère de Grendel dans la saga. Il pense déceler là une autre influence du poème anglo-saxon qui est l'affrontement aquatique que mène Hálfdan contre son rival Áki. Cela lui rappelle en effet la course de Beowulf contre Breca [4]. Il suppose en cela une continuité d'un archétype littéraire germanique. Concernant ce point Martin Puhvel se montre beaucoup plus dubitatif. D'une part parce que Beowulf et Breca s'affrontent lors d'une course à la nage tandis que Hálfdan et Áki procèdent à une lutte aquatique. Deuxièmement, les nages mentionnées dans d'autres sagas islandaises présentent elles aussi peu de similitudes avec Beowulf [5]. Plus récemment, cette saga a fait l'objet d'une traduction en allemand par Mathias Krusel publiée en 2009, qui y joint des observations et commentaires détaillés [6]. Cette saga n'a que très peu retenu l'attention des chercheurs et n'a fait l'objet d'aucune publication en langue française. Elle est pourtant le prélude d'une saga légendaire qui fut plus étudiée, la Sörla saga Sterka, ou l'histoire de Sörli le Fort. La traduction commentée de Mathias Krusel a permis de mettre en valeur certains motifs et de les comparer avec d'autres textes de la littérature médiévale islandaise. 

Si ce récit ne nous livre pas d'informations historiques et ne se démarque pas par l'originalité de sa composition, il n'en reste pas moins une belle histoire qui rassemble plusieurs motifs récurrents de la littérature médiévale islandaise. Proche du comte populaire, il nous plonge parfaitement dans l'imaginaire des anciens Scandinaves.

Valentin Cadoret, étudiant en seconde année de master auprès du département d'études nordiques de Caen. 


[1] À ce sujet, voir Vincent Samson dans la partie qu'il consacre à ce sujet dans Les Berserkir – Les guerriers-fauves dans la Scandinavie ancienne, de l'Âge de Vendel aux Vikings (VIe – XIe siècle), Presses Universitaires du Septentrion, 2011, p.220-4.

[2]  Voir Johanna Katrin Friðríksdóttir, Ideology and Identity in Late Medieval Northwest Iceland. A Study of AM 152 fol., Grípla, 2014, p.96-97.

[3]  Voir Peter A. Jørgensen « The Two-Troll Variant of the Bear's Son Folktale in Hálfdana saga Brünufóstra and Gríms saga Loðinkinna », Tidskrift för Nordisk Folkminneforskning, Vol. 3, 1975, p.35 – 43.

[4]  Voir  Peter A. Jørgensen, « Beowulf's Swimming Contest with Breca : Old Norse Parallels », Folklore – The Journal of the Folklore Society (vol 1), 1978, p. 52-59.

[5] Voir Martin Puhvel, « The Aquatic Contest in ''Hálfdanar saga Brönufóstra'' and Beowulf's Adventure with Breca : Any Connection ? », Neuphilologische Mitteilungen, Vol. 99, No. 2, 1998, p. 131-138.

[6] Mathias Krusel, Die Geschichte von Halfdan, dem Schützling von Brana - Hálfdanar saga Brönufóstra, Übersetzung und Kommentar. München, Verlag, 2009.

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