dimanche 15 mai 2016

Le philosophe norvégien Arne Næss (1912- 2009) est toujours dans le vent.



Plusieurs générations d’étudiants norvégiens ont connu le manuel d’histoire de la philosophie d’Arne Næss qui était au programme du cours interdisciplinaire en première année de l’université. Quand on s’en souvient encore, plus de 30 ans après, c’est probablement grâce au grand soin pédagogique de Næss qui souhaitait rendre la philosophie accessible à tous.


Pendant sa longue carrière de professeur en philosophie à l’Université d’Oslo, Næss ne s’enfermait pas dans son bureau, il participait activement à la vie publique et ne rechignait pas à faire des expériences sur le terrain. Les images transmises par la télévision du professeur Næss, transformé en activiste écologiste s’opposant à la construction du barrage hydroélectrique de Bardøla en 1970, sont restées dans la mémoire collective des Norvégiens. Le philosophe était aussi un alpiniste expérimenté, dirigeant en 1950 la première expédition gravissant le point culminant de Tirich Mir au Pakistan à plus de 7 700 mètres.

Arne Næss quitta son poste de professeur en 1970 pour élaborer sa philosophie écologiste et pour poursuivre son action en faveur de la nature. Dans l’article The shallow and the deep : long-range ecology mouvement publié en 1973, il introduit le concept d’écologie profonde qui désigne à la fois un courant philosophique et un mouvement socio-politique.


Dans un livre intitulé Økologi, samfunn og livsstil (Écologie, communauté et style de vie) publié en 1974, Næss développe sa pensée sur la relation homme-nature. Il explique qu’il a fréquenté la nature depuis son plus jeune âge, et que pour lui l’idée que chaque être vivant a sa valeur intrinsèque est intuitive. Selon lui, il est nécessaire de remplacer l’approche anthropocentriste de l’écologie et de reconnaître qu’il existe une interdépendance entre tous les êtres vivants de la nature, l’homme y compris. Il s’oppose à ce qu’il appelle l’écologie superficielle, c’est-à-dire la vision que l’homme serait capable de remédier aux problèmes environnementaux actuels à l’aide de la technologie. Son livre met en question des valeurs qui constituent les fondements des modes de production et de consommation de la société occidentale. L’objectif d’Écologie, communauté et style de vie est d’encourager chacun à exprimer ses intuitions au sujet de la nature et de développer sa propre éthique, une réflexion que l’auteur nomme « écosophie ».  
 
Écologie, communauté et style de vie a été traduit en anglais et publié aux États-Unis dès 1989. Il a fallu attendre 2008 pour que la première édition française paraisse aux Éditions MF. Charles Ruelle, qui est aussi le traducteur de l’ouvrage en français, explique dans un article publié avec Frédéric Neyrat dans la revue Labyrinthe 30 (2008 (2)) que le retard français n’est pas un hasard : La pensée française est longtemps restée hermétique aux propositions du mouvement écologiste. L’exemple le plus éclatant de cette résistance française est l’essai  Le Nouvel Ordre écologique (1992) de Luc Ferry qui prend l’écologie profonde comme cible en reprochant à celle-ci d’être antihumaniste.     

Malgré des interprétations erronées et des vulgarisations, l’œuvre de Næss continue à susciter un intérêt au niveau international. Écologie, communauté et style de vie est souvent évoquée à propos de la discussion sur l’animalité, question d’une grande actualité également en France. Le philosophe Dominique Lestel qui explore comment l'être humain partage sa vie avec les êtres non humains, est parmi ceux qui essayent d'introduire le grand penseur norvégien en France.

Jørn Riseth
L’auteur est Maître de Langue de Norvégien au Département d’Études Nordiques de l’Université de Caen Normandie et Doctorant à l'école doctorale 558 Histoire, Mémoire, Patrimoine, Langage / Université de Caen Normandie.

Næss, Arne : Écologie, communauté et style de vie. Éditions Dehors. 2013 Traduction de l’américain et introduction de Charles Ruelle. La traduction de cette deuxième édition française a été révisée par Hicham-Stéphane Afeissa.   

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