En Suède et en Finlande, le 30 avril – le
« Valborg » ou le « Vappu » – est traditionnellement une
fête des étudiants et du monde universitaire en général. A Göteborg par
exemple, l’École Polytechnique Chalmers organise un cortège festif composé de
fanfares, de voitures décorées pour l’occasion, et d’étudiants et anciens
étudiants bien habillés avec leurs casquettes blanches de bachelier. À Helsinki, la fête
commence à 18h lorsque les représentants des associations d’étudiants offrent
une casquette à Manta, la statue d’une figure féminine située au centre-ville
entre le parc d’Esplanadi et la Place du marché. Dans toutes les villes
universitaires, la fête continue bien entendu jusqu’au petit matin, dans une
ambiance qui se rapproche autant que possible du carnaval de Rio.
Le lendemain, le 1er mai, est une fête de la
classe ouvrière, comme ailleurs en Europe. D’autres cortèges défilent dans
d’autres quartiers de la ville, sous d’autres drapeaux et avec d’autres
revendications.
Il fût un temps non pas si lointain que ça où ces deux fêtes
se rapprochaient. Dans mon enfance, au début des années 70, il n’était pas rare
que les étudiants se joignent aux rangs des ouvriers directement à la sortie de
leur fête, pour exprimer la solidarité de la jeunesse étudiante avec le
prolétariat. Cette rencontre n’était pas uniquement motivée par la
sympathie ; ces jeunes étaient souvent le pont vivant entre ces deux mondes.
L’ouverture de l’enseignement supérieur à de nouvelles populations est un
phénomène central de l’évolution des sociétés nordiques depuis la deuxième
guerre mondiale. Dans les années 60 et 70, de nombreux jeunes hommes et femmes
issus de la classe ouvrière ont été les premiers dans leur famille à obtenir le
bac et entamer des études universitaires. Cela a marqué l’ascension de toute la
famille, une réussite collective. Le premier fils ou fille bachelier était une
étape importante dans ce qu’on appelait en Suède le « klassresa », le
voyage entre les classes sociales.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Le 30 avril, le centre-ville
d’Helsinki a été envahi par une mer de casquettes blanches. Le lendemain, les
étudiants ont dressé leurs pique-niques dans le parc de Kaivopuisto pour le
déjeuner traditionnel. Mais ils ont été peu nombreux à rejoindre les cortèges
des mouvements ouvriers sur la place de Hakaniemi. Et ces cortèges ne sont que
le fantôme de la masse imposante des participants des années 70.
On peut lire, dans ce manque de communication, plus que le simple
constat de manque de sympathie. Aujourd’hui, environ 80% de jeunes obtient le
bac en Suède et environ 45% en Finlande. Si le bac était un indicateur de
l’ascension sociale entre les années 50 et 80, il est devenu plus ou moins la
norme au début du 21e siècle. Avoir le droit de porter la casquette
blanche et de participer au rite de « Valborg » ou
« Vappu » marque une réussite individuelle, mais non pas tant celle
de toute une famille qui monterait des conditions modestes vers l’aisance
matérielle. La démocratisation de l’enseignement supérieur est une chose
excellente. Mais on peut se demander si le bac et les études supérieures
offrent toujours la voie vers un meilleur avenir.
Quelles sont les nouvelles étapes de
« klassresa » ? Elles me semblent peu visibles. Ce manque de
visibilité marque-t-il la fin d’une époque ?
L’ascension sociale a été le moteur dans la réussite du modèle
nordique de la société. Aujourd’hui, les sociétés nordiques sont confrontées à
de nouvelles tensions apportées par la transformation de l’économie mondiale,
les répercussions des crises internationales sur le territoire national et
d’autres facteurs encore. Il est urgent de retrouver et réinventer les
mécanismes qui créent de la cohésion sociale en associant la réussite individuelle
et collective avec l’espoir d’un meilleur avenir pour tous.
Harri Veivo
L’auteur est professeur au Département d’Études Nordiques de
l’Université de Caen Normandie.
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