jeudi 15 septembre 2016

L’eider à duvet – un drôle de canard entre nature et culture





Depuis des centaines d’années les habitants des côtes de l’Europe du nord ont eu des relations très proches avec l’eider à duvet. Afin de pouvoir ramasser le précieux duvet de ces canards plongeurs, les Nordiques les invitent à vivre en communauté avec eux pendant quelques semaines de l’année. Mais la question qui se pose est celle de savoir si la notion de domestication est appropriée pour qualifier cette tradition de cohabitation entre l’Homme et l’animal. Pour poser la question autrement : où s’arrête la nature et où commence la culture dans la relation entre l’Homme et l’eider ?

L’eider à duvet, nommé Somateria mollissima par Carl Linnæus en 1758, vit dans les régions arctiques et boréales dans tout l’hémisphère nord. En Norvège, les eiders à duvet nichent sur toute la côte, mais ils sont surtout nombreux au nord de Trondheim. Les eiders préfèrent se nicher dans des endroits ouverts près de la mer. Les femelles installent leurs nids à même le sol et elles couvent seules sans l’aide des mâles pendant environ 25 jours. Les nids abritent normalement entre quatre et six œufs et les femelles tapissent les nids avec leur duvet afin de les garder au chaud.

Pendant la période où elles couvent, les eiders sont très vulnérables aux prédateurs. Les mouettes, les visons, les renards et les corbeaux guettent les nids pour leur dérober les œufs et les oisillons. C’est la menace des prédateurs qui incite l’eider à s’approcher de l’Homme. La présence humaine fait fuir les prédateurs et c’est ainsi que les fermes sur les côtes sont entourées par des colonies d’eiders nichant parfois tout près des maisons. Pour protéger celles-ci, on construit aussi des abris en bois ou en pierre où les femelles peuvent s’installer dès le printemps. D’une année à l’autre l’eider revient souvent sur le même site pour couver. Après l’éclosion des couvées, les femelles quittent les nids et amènent les oisillons vers l’eau où ils commencent à s’alimenter. Pour les propriétaires des fermes le moment de la récolte du duvet est arrivé.

Dans certaines régions au nord de la Norvège le duvet de l’eider représentait autrefois une ressource importante. Ayant une capacité d’isolation extraordinaire, le duvet de l’eider se vendait à des prix très élevés pour faire des couettes. Ce sont des produits très rares, car il faut entre 70 et 80 nids pour obtenir un kilo de duvet. Depuis 1940 cette activité a perdu de l’ampleur, mais dans l’archipel de Vega dans la région de Nordland les traditions se maintiennent.

L’histoire de la domestication des animaux est considérée comme une étape importante de notre histoire culturelle. Cette histoire est souvent écrite en termes de domination et de contrôle, mais l’exemple de la relation entre l’Homme et l’eider rompt avec la vision dominante de la domestication. À Vega et dans d’autres endroits sur la côte norvégienne où l’on ramasse encore le duvet d’eider, il existe une rare relation de réciprocité et de respect mutuel entre l’Homme et l’eider. A cela s’ajoute le fait que les eiders ne sont pas en captivité et que la cohabitation n’est pas définitive, mais périodique. Les eiders à duvet ne sont donc ni domestiques, ni vraiment sauvages, ce qui peut nous amener à remettre en question les catégories qui ont servi à décrire le développement de la société agricole.

Un groupe de chercheurs attachés au centre de recherche pluridisciplinaire CAS à Oslo (Centre for Advanced Study at the Norwegian Academy of Science and Letters) s’est posé la question de savoir si le concept dominant de domestication pourrait nous empêcher de découvrir d’autres façons de vivre avec la nature que celle qui domine dans les pays occidentaux. Dans l’Arctique, l’agriculture traditionnelle est peu développée, mais les gens arrivent néanmoins à vivre des ressources naturelles sans passer par la domination et le contrôle. Selon les chercheurs, l’étude des relations entre l’Homme et la nature dans l’Arctique pourraient nous donner des outils conceptuels pour écrire une autre version de l’histoire de notre civilisation. 

Lisez l’interview avec Marianne Lien, professeur du CAS, en suivant le lien : http://cas.oslo.no/full-width-article/where-does-nature-end-and-culture-begin-article1830-1082.html

Jørn Riseth

L’auteur est Maître de Langue de Norvégien au Département d’Études Nordiques de l’Université de Caen Normandie et Doctorant à l'école doctorale 558 Histoire, Mémoire, Patrimoine, Langage / Université de Caen Normandie.



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