« Köyliön
Järven Jäällä», (« Sur la glace du lac de Köyliö »), est une chanson du
groupe de metal finlandais Moonsorrow sortie en 2001 sur l’album Suden Uni (Le Rêve du Loup). Les paroles
évoquent la légende du meurtre de saint Henri, le saint patron de la Finlande,
commis par un paysan nommé Lalli. À travers sa réécriture de la légende, le
groupe exprime son besoin de renouer avec la culture finnoise préchrétienne.
Le fait d’avoir
choisi cette légende pour montrer l’attachement à cette période de l’histoire
finnoise n’est pas anodin. En effet, la légende du meurtre de saint Henri nous
est parvenue grâce à des textes religieux écrits à la fin du xiiie et au début du xive siècle et grâce à la transcription à
la fin du xviie siècle d’une
chanson populaire nommée « Piispa Henrikin Surmavirsi » ou
« cantique de la mort de l’évêque Henri ». D’après ces deux types de
sources, l’évêque d’Uppsala Henri aurait mené une croisade en Finlande au
milieu du xiie siècle, aidé du roi
suédois Éric Jedvardsson et de ses troupes. Après le départ du roi, Henri
serait resté en Finlande afin de continuer son entreprise de christianisation
des populations locales. C’est durant cette période qu’Henri aurait été tué de
la main d’un paysan nommé Lalli.
Selon Tuomas M.
S. Lehtonen qui a réalisé une présentation de ces deux types de sources en 2005[1],
le mobile de ce meurtre change selon la source. Pour l’église, Lalli aurait tué
l’évêque après avoir refusé la « réprimande » que celui-ci aurait
voulu lui infliger afin de le laver d’un meurtre qu’il aurait commis. La
chanson traditionnelle, quant à elle, raconte que la soif de vengeance
meurtrière de Lalli, aurait été causée par le récit mensonger de sa femme,
Kerttu, à propos d’un vol de denrées
commis par l’évêque. Dans les deux cas, Lalli décapite l’évêque, se coiffe de
sa mitre et lui vole une bague qu’il met à son doigt. En arrivant chez lui,
après avoir fanfaronné avec les affaires de sa victime, il n’aurait pas eu
d’autre moyen d’enlever la mitre et la bague qu’en s’arrachant le cuir chevelu
et le doigt. Les textes religieux y voient des miracles accomplis par la
vengeance posthume de l’évêque, et donc une raison de le canoniser, tandis que
la chanson explique cela par une manifestation de la colère de Dieu.
Ces sources
décrivent donc Lalli comme un personnage négatif qui a été puni pour avoir
porté atteinte à un personnage de l’église. La chanson « Köyliön Järven
Jäällä », se place en totale opposition quant au rôle joué par le paysan. La
vision de ce personnage semble ici fortement inspirée par les représentations créées
au xixe siècle, d’un valeureux
héros défendant au prix de sa vie les Finnois et leur culture contre
l’assujettissement politique et religieux venant de l’étranger[2].
Dans la chanson
de Moonsorrow, Lalli n’est plus seulement présenté comme le héros défenseur
d’un peuple et d’une croyance. Les paroles décrivent un homme suffisamment intelligent
pour ne pas se laisser berner par les mensonges de l’église, mais également un
défenseur des espaces naturels symboliques de la Finlande, à savoir les lacs et
les forêts. Ainsi, le groupe insiste sur la dimension nationale de ce récit
héroïque, tant du point de vue culturel que naturel et insuffle donc une
dimension écologique au patrimoine national qu’il souhaite défendre. De plus,
Lalli est ici représenté comme la victime d’une manipulation de l’Église. En
effet, à la fin de la chanson, le groupe dénonce l’utilisation du fait d’armes
d’un homme « loyal » et « honnête » pour élever un
persécuteur, l’évêque Henri, au rang de saint et ainsi soumettre le peuple
finnois à de nouvelles croyances. Le groupe propose donc une révision de ce
fait connu en Finlande, en cherchant à se libérer de la vision biaisée par la
religion.
Cependant
l’expression et la mise en situation du message contenu dans les paroles de
« Köyliön Järven Jäällä » soulève plusieurs paradoxes. Tout d’abord,
le groupe accuse l’Église de détourner un fait afin de servir sa cause, alors
qu’il utilise ce même procédé pour célébrer son héros. De plus, le groupe
utilise des valeurs telles que la loyauté, l’honnêteté et le courage qui est
évoqué de manière sous-entendue au début de la chanson, lorsque Lalli décide
seul d’affronter l’émissaire de Dieu. Ces valeurs, comme l’explique Sini Kangas
dans un travail sur la légende de la mort de saint Henri, sont celles notamment
liées à la chanson de geste, qui est fortement influencée par la religion
chrétienne.[3] Le groupe adopte donc des valeurs liées à l’Église,
afin de s’y opposer.
Enfin, il est
tout de même important de rappeler que les paroles de Moonsorrow font partie
d’un travail artistique, bien qu’elles soutiennent une vision personnelle de
l’histoire et de ses conséquences culturelles et politiques. Pour autant, nous
pouvons aussi concevoir cette chanson comme une forme de prolongement de la
tradition orale qui était fortement présente en Finlande jusqu’au xixe siècle. Le groupe contribue à ce « classique »
de la tradition finlandaise en y ajoutant des éléments propres à son époque,
comme la valorisation de la culture préchrétienne, fortement présente dans les
textes issus du genre metal, notamment dans la zone géographique nordique.
Lise Vigier
L'auteure est
doctorante à l'école doctorale 558 Histoire, Mémoire, Patrimoine, Langage /
Université de Caen Normandie.
[1]
Tuomas, M. S. Lehtonen, « Conquête et construction de l’histoire sacrée en
Finlande », dans Mornet, Élisabeth, M. S. Lehtonen, Tuomas, (directeurs), Les élites nordiques de l'Europe occidentale
(XIIe-XVe siècle) - Actes de la rencontre franco-nordique organisée à Paris,
9-10 juin 2005, Publications de la Sorbonne, Paris, 2007, p. 180 et 184.
[2]
Ibid., p. 188.
[3] Sini, Kangas, « The Murder
of Saint Henry, Crusader Bishop of
Finland », dans Mornet, Élisabeth, M. S. Lehtonen, Tuomas, (directeurs), Les élites nordiques de l'Europe occidentale
(XIIe-XVe siècle) - Actes de la rencontre franco-nordique organisée à Paris,
9-10 juin 2005, Publications de la Sorbonne, Paris, 2007, p. 194.
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