Les fjords, les rivières, les oiseaux, les montagnes, les
glaciers … impossible de penser à l’Islande sans que l’imaginaire de la nature
envahisse l’esprit. La seule exception est peut-être l’équipe de foot, mais
c’est toujours un sport qu’on pratique dehors (bien que sans doute sur un
terrain artificiel au-delà du 64e parallèle nord). Mais la nature
existe-t-elle en Islande ? C’est la question que je me suis posée en
lisant le roman Reykjavik 101 de
Hallgrímur
Helgason.
Le héros – ou plutôt l’anti-héros, tant il accumule des
caractéristiques négatives qui le rendent intéressant – du roman, le
trentenaire Hlynur, vit chez sa mère dans le centre de Reykjavik et passe ses
jours dans sa chambre ou dans les bars. Ses aventures qui frôlent le picaresque
le mènent dans des fêtes nocturnes chez des amis ou des inconnus et même à
Amsterdam et à Paris. Il joue de son identité, refuse toute attache
émotionnelle ou professionnelle, et observe les autres comme s’ils n’étaient
que des surfaces, des jouets presque ; dans de rares occasions un léger
tremblement de la main qui tient la cigarette trahit une émotion, rapidement
refoulée dans l’instant qui suit.
Reykjavik 101 se
situe ainsi dans la grande tradition de la littérature urbaine, dans le sillage
de Baudelaire, Döblin et Dos Passos. Ce n’est pas tout à fait inouï en Islande.
Les polars d’Arnaldur Indriðason aussi sondent le labyrinthe de la
ville moderne, ses destins croisés et ses histoires occultées. Il suffit de
regarder une carte démographique de l’Islande pour s’apercevoir qu’il s’agit du
cadre de la vie quotidienne de la plupart des habitants du pays. Que la littérature
le choisisse comme son milieu et son sujet même est donc tout à fait dans
l’ordre des choses.
Erlendur, le héros d’Indriðason, et Hlynur habitent
cependant dans deux réalités parallèles. Si le premier garde un lien réel –
traumatique, nostalgique, vécu à travers des récits et des voyages – avec son
origine dans la campagne, le second est incapable de vivre sans la culture de
spectacle et de consommation qui l’entoure à Reykjavik. Lorsqu’il quitte la
ville pour un séjour à la campagne, il porte cette culture avec lui,
s’accrochant à la télécommande de sa télévision comme si c’était un talisman
qui permettrait de garder la nature à distance.
La nature a été une hétérotopie fondamentale dans la culture
occidentale : un lieu pour vivre autrement et un écran pour la projection
des rêves et des fantasmes d’une société quasi prélapsaire. Cette tradition est
omniprésente dans la culture nordique et nous empêche peut-être de réaliser
combien la nature et la culture sont liées ; rien ne semble en subsister
dans le roman de Helgason. Quelle fraîcheur !
Hallgrímur Helgason : Reykjavik
101. Trad. Éric Boury. Actes Sud, 2002 (orig. 1996).
Harri Veivo
L’auteur est professeur au Département d’études nordiques de
l’Université de Caen Normandie.
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