Le titre de l’ouvrage Silent
Spring (1962) de la biologiste américaine Rachel Carson fait allusion à un
printemps où les oiseaux ne chanteraient plus. Son livre est une étude de 35 espèces d’oiseaux menacées
d’extinction à cause de l’utilisation de pesticides ; il est devenu un
classique aujourd’hui. À
l’île de Runde, connue pour sa très riche faune aviaire, les scientifiques ont également
observé un curieux silence.
Dans cette petite île située sur la
côte ouest de la Norvège, qui normalement grouille de vie pendant la saison de
la nidification, les oiseaux marins sont beaucoup moins nombreux qu’avant. Les
mouettes tridactyles (Rissa tridactyla) qui se nichaient par
milliers dans les rochers tombant directement dans la Mer du Nord, faisaient un
joyeux vacarme.
Elles sont devenues rares et le printemps risquera d’être silencieux. Les macareux moines (Fratercula arctica), oiseaux emblématiques avec leurs becs
striés d’orange, résistent encore, mais on ne sait pas s’ils vont trouver assez
de poisson pour nourrir leurs petits cette année.
Il est
difficile d’identifier une seule raison pour laquelle les populations d’oiseaux
marins sont en déclin, mais selon les scientifiques, il y a probablement un
lien avec les changements climatiques. Depuis quelques années, l’eau de la Mer
du Nord est devenue plus chaude et une augmentation de la température moyenne
de 1,5 degré suffit pour déséquilibrer les écosystèmes. Un minuscule crustacé nommé Calanus
finmarchicus, qui existe en quantités énormes en Mer du Nord, pourrait se déplacer à cause de la
hausse des températures. Cet animal est la première source alimentaire des
alevins qui à leur tour sont mangés par les oisillons.
Les spécialistes de l’écologie marine confirment
qu’historiquement il y a eu des variations importantes du nombre de cabillaud,
de merlans et de lançons dans la Mer du Nord et que cette instabilité a influencé
les populations d’oiseaux marins. Mais la baisse de plusieurs espèces de
poissons que l’on peut observer actuellement n’est probablement pas le résultat
d’une surpêche, comme c’était le cas pour le hareng dans les années 1960. On
observe plutôt un problème de reproduction ; les alevins ne trouvent pas
suffisamment à manger et meurent. Les chercheurs affirment que le système
écologique marin est complexe et qu’il est très difficile de prévoir ce qui va
se passer quand une espèce se déplace ou disparaît définitivement. Ils ne
savent pas à quel moment tout l’écosystème pourrait s’effondrer.
À part
l’inquiétude des scientifiques et la tristesse de quelques ornithologues, cette
évolution ne semble pas troubler outre mesure la grande majorité de Norvégiens.
Une enquête publiée par le quotidien Dagen
le 1er juin 2016 a montré que seulement 25% des Norvégiens pensaient que les
changements climatiques étaient préoccupants.[1]
On remarque par ailleurs que l’immigration est considérée comme un défi
important par 64% des personnes sollicitées par la même enquête.
La publication
de Silent Spring en 1962 a déclenché une discussion qui a mené à
l’interdiction de l’insecticide DDT aux États-Unis. Le livre a contribué à changer
l’opinion public et aussi à lancer un mouvement environnemental au niveau international. L’indifférence des Norvégiens
à l’égard des changements climatiques peut surprendre, car les habitants du
grand nord sont souvent considérés comme étant « proches de la nature ».
Leur silence en ce qui concerne les questions climatiques et la disparition des
espèces pourrait s’expliquer par la complexité et l’ampleur du problème. Les défis
environnementaux sont devenus si importants qu’il ne faut pas s’étonner que la
résignation et le déni aient remplacé l’engagement et les protestations des
années 1960 et 1970. Printemps silencieux.
Jørn Riseth
L’auteur est Maître de Langue de Norvégien au Département d’Études Nordiques de l’Université de Caen Normandie et Doctorant à l'école doctorale 558 Histoire, Mémoire, Patrimoine, Langage / Université de Caen Normandie.
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