« Sprawl »
est une notion utilisée dans l’urbanisme pour désigner une ville post-moderne
sans centre et sans organisation apparente, structurée par les autoroutes
urbaines qui relient les centres commerciaux et les banlieues. Los Angeles en
est l’exemple le plus connu. On n’est pas habitué à associer de telles notions
avec les Îles Féroé, plutôt connues pour ses paysages sauvages.
Les
montagnes et la mer sont toujours là, mais une nouvelle ère de connexions et de
communication arrive dans l’archipel. Tel est le constat d’un voyageur
occasionnel qui fait la connaissance de plusieurs tunnels reliant les îles du
nord entre eux et qui observe le chantier du dernier projet qui fera la
connexion entre la capitale Torshavn et les villes de Toftir et de Strendur sur
l’île d’Eysturoy dans un an. Aujourd’hui, on peut admirer la capitale et la
belle île voisine de Nólsoy à partir de la colline qui s’élève à côté de Toftir.
Elles sont comme à portée de main, mais, pour y aller, il faut une heure et
demie de route qui longe les montagnes et fait le détour de plusieurs fjords.
Demain, on fera le même trajet en 20 minutes.
Isolation et
solitude d’une part, solidarité et communauté de l’autre semblent être des
thèmes récurrents dans la littérature et l’art féroïen. La mer en tempête a
souvent coupé les liaisons entre les villages et les îles. Dans ces périodes
qui ont pu durer plusieurs semaines, le travail et l’entre-aide collectifs ont
été nécessaires pour survivre. La mer a cependant toujours été un facteur de
liaison aussi, une route à multiples destinations. On l’a empruntée pour
partir ; elle a amené des étrangers, des produits exotiques, des
inventions.
Les tunnels
font abstraction de ces contraintes et possibilités dans l’organisation de la
géographie sociale et humaine. La mer restera certes l’élément dominant du
paysage, et il faudra toujours la traverser ou la survoler pour aller ailleurs,
vers l’Écosse
ou le Danemark par exemple. Mais les îles, qui ont chacune eu leur particularité
façonnée par la forme des fjords et des montagnes, par les possibilités
d’habiter et de vivre qu’elles offrent, formeront désormais un espace unifié où
l’économie et la mobilité fondée sur la voiture (et non le bateau ou le ferry)
seront les forces dominantes.
Toftir
deviendra-t-il une banlieue de Torshavn ? Son pôle d’emploi ou sa zone
industrielle ? Le touriste qui visite le festival G ! à Göta
restera-t-il sur place pour la nuit s’il peut regagner la capitale en 25 minutes ?
Les nouvelles connexions apporteront-t-elles plus d’équité entre les lieux, ou
plus de ségrégation ? Nul ne peut le dire pour le moment. Les effets du
« sprawl » sont difficiles à prédire, aussi bien à Los Angeles qu’aux
Îles Féroé.
Harri
Veivo
L’auteur
est professeur au Département d’études nordiques de l’Université de Caen
Normandie.
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