mardi 3 mars 2020

De quoi retourne le cas Zlatan ?


Footballeur exceptionnel par son talent et sa longévité, homme atypique au regard de son parcours personnel et de l’image publique qu’il a su créer et entretenir, Zlatan Ibrahimović est une figure de non-consensus. Provocateur et outrancier, le natif de Malmö balaie depuis plusieurs années une loi de Jante supposée régir les codes sociaux dans les pays nordiques1. Il a en outre fait l’objet de nombreuses attaques racistes en Suède et ailleurs en Europe. Récemment, sa statue à Malmö a constitué une pomme de discorde auprès des supporters du club, suscitant des crispations dont il n’avait jusqu’alors que peu fait l’objet dans sa ville d’origine. 


Les atteintes connues par la statue du joueur ont à de nombreuses reprises investi l’actualité en Suède depuis son inauguration en octobre 2019. Destinée à lui rendre hommage, placée près du stade de son club formateur Malmö FF, l’œuvre a entre autres subi des attaques pyrotechniques, des tags, la tête a été recouverte d’un sac plastique, le nez a été coupé et l’un des bras a servi de portant à une lunette de toilettes. Parmi les graffitis inscrits, certains sont explicitement racistes, à l’image de l’inscription « cigani dö » (« mort au tzigane ») faite au sol, appelant à la mort du footballeur assimilé dans le même temps à la communauté tzigane, souffrant de forts préjugés racistes2

Des attaques qu’il avait déjà vécues lors de son départ de la Juventus de Turin, lorsque des supporters avaient invectivé le « tzigane » Zlatan, sur lesquelles le joueur s’était exprimé dans une interview avec deux journalistes du journal Le Monde3. Il expliquait alors ne pas avoir « souffert » du racisme mais y avoir été « confronté » partout. Par ailleurs, dans le documentaire « Zlatan- för Sverige i tiden » de SVT qui lui est consacré, il explique vouloir répondre depuis ses débuts au racisme qu’il a subi par son talent footballistique, qu’il devine tôt : « je vais leur donner quelque chose qu’ils n’ont jamais vu auparavant ». « D’où je viens, ça fonctionnait comme ça c’est tout » dit-il également. 

Depuis le début de sa carrière, le joueur a connu des attaques remettant en cause son appartenance à la Suède, dépassant le monde du football. Mattias Karlsson, membre à hautes responsabilités des Démocrates de Suède, avait notamment affirmé que « Zlatan n’est pas suédois », n’observant pas chez lui une « attitude » ou un « langage corporel » propres à la Suède – termes qu’il ne parvenait pour autant pas à définir4. Il prenait alors Zlatan en exemple pour appeler à la fin de la double-nationalité, qui impliquait une « double loyauté » que le politicien sous-entendait être une forme de traîtrise. 

Pourtant, les attaques subies récemment par la statue ne sont pas qu’à caractère raciste. Beaucoup, peut-être une majorité, sont l’expression d’une colère, témoignent d’une velléité de vengeance face à la trahison commise par le meilleur buteur de l’équipe nationale : son entrée à hauteur de 25 % dans le capital de Hammarby, club basé à Stockholm et rival de Malmö FF. Un investissement qui a pour ambition de donner au club, à terme, une dimension européenne. Nombreux sont les témoignages de supporters à s’être sentis profondément trahis par Zlatan Ibrahimović5, qui, s’il a été depuis de nombreuses années pris pour cible en Suède, a toujours été vu comme une réussite de Malmö et plus particulièrement de Rosengård, son quartier d’origine, tristement bien plus réputé pour ses échecs que ses réussites. 

Pourquoi le footballeur a-t-il délibérément communiqué sur cet investissement peu après l’inauguration de la statue ? Ayant grandi à Malmö, y ayant « fait ses classes » en football, il ne pouvait ignorer les retombées sur son image dans cette ville si fière. Une affaire qui illustre la passion et les émotions inhérentes au football, mais touche aussi à l’ordre social. S’il serait difficile de définir les règles d’appartenance à un club et à une région, Zlatan avait gardé un profond attachement pour Malmö FF, qui était réciproque. S’il avait témoigné des regrets au sujet de son transfert négocié en 2001 vers l’Ajax Amsterdam par Hasse Borg, directeur sportif de son club formateur et sorte de « deuxième père » selon ses propres termes6, qui l’avait forcé à quitter son club sans qu’il ne soit tout à fait prêt ou n’en ait eu alors envie, il répétait en 2015 que Malmö FF était « [son] équipe »7. 

Une histoire qui se termine mal entre Zlatan Ibrahimović et le club et les supporters, à regret pour qui aime le football et les émotions qui l’entourent.



Théo Fouéré - l'auteur est étudiant en deuxième année de master LLCER au Département d'Etudes Nordiques de l'Université de Caen



1 Voir “La Loi de Jante dans la Scandinavie actuelle”, Alex Fouillet, 1/11/2018 https://vuedunord.blogspot.com/2018/11/la-loi-de-jante-dans-la-scandinavie.html

2 Trollér Philip, Johnsson Andreas, "Attack mot Zlatan-statyn - skrevs rasistiskt klotter", Göteborgs-Posten https://www.gp.se/sport/fotboll/attack-mot-zlatan-statyn-skrevs-rasistiskt-klotter-1.20869409

3 Mandard Stéphane, Dupré Rémi, "Zlatan Ibrahimovic : 'Je peux rendre populaire Hollande si je veux'"https://www.lemonde.fr/football/article/2016/06/07/zlatan-ibrahimovic-je-peux-rendre-populaire-hollande-si-je-veux_4940147_1616938.html

4 Seretis Wayne, "Zlatan är inte svensk" https://www.expressen.se/sport/zlatan-ar-inte-svensk/

5 Orrenius Niklas, Hansson Anders, "Därför har Zlatans staty förstörts - av fansen som älskat honom" https://www.dn.se/sport/darfor-har-zlatans-staty-forstorts-av-fansen-som-alskat-honom/

6 Moi, Zlatan Ibrahimović, Zlatan Ibrahimović et David Lagercrantz, JC Lattès 2013


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