L’existence des « pays nordiques » est bel et bien
assurée par une histoire millénaire commune et toute une série d’institutions –
le conseil nordique, l’université d’été nordique, etc. – qui nourrissent un
sentiment d’appartenance partagée. Mais qu’en est-il des « études
nordiques » ?
L’existence d’une discipline scientifique présuppose
l’existence d’un objet d’étude à priori discernable, définissable et stable.
Or, « les pays nordiques », nonobstant l’histoire commune et les
institutions, est une notion labile.
Un pays est en principe défini par ses frontières, ce qui
pourrait nous amenerà penser qu’il soit une entité stable. Les frontières sont
pourtant des zones de contact et de communication avant tout. Une frontière
présuppose l’existence de deux parties séparées et connectées. Cela veut dire que, pour définir les pays nordiques,
il ne suffit pas de penser à ces cinq pays (et aux cas particuliers comme les
Îles Féroé), mais aussi à tous les pays limitrophes qui ont toujours, par le
fait d’être situé à la frontière, participé à la définition de ces pays.
La notion des « pays nordiques » est extensible de
multiples façons. Un historien peut s’intéresser, dans le sillon des Vikings,
sur les liens entre la Normandie et l’Europe du Nord. Un sociologue ou un
géographe peut étudier l’identité de la région de Barents qui recouvre les
parties septentrionales de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et la
presqu’île de Kola en Russie. Un musicologue, l’arrivé du jazz en Finlande par
la Russie et l’Europe centrale. Ces approches sont toutes pertinentes, et elles
étudient bien les « pays nordiques » – mais des « pays nordiques »
bien différents.
S’ajoutent à cela les complications apportées par les
différentes traditions nationales dans les sciences. Une dimension scandinave
apparaît des fois comme une extension naturelle de la recherche menée d’abord
dans une perspective nationale au Danemark, en Norvège et en Suède. Henrik
Ibsen mène à Georg Brandes, ou vice-versa, et l’un ne saurait exister sans
l’autre. La Finlande finnophone est souvent exclue de cette configuration par
la barrière linguistique. Ibsen – ou Bjørnstjerne Bjørnson – pourrait mener à Minna
Canth aussi, mais ne le fait que rarement.
Et n’oublions pas que, dans le monde des sciences humaines
et sociales d’aujourd’hui, un chercheur doit suivre les discussions
internationales dans sa discipline. Ceci est particulièrement important lorsque
l’on fait de la recherche sur des pays qui participent pleinement à la
mondialisation, comme c’est le cas des pays nordiques. Il est strictement
impossible de comprendre les démarches et les présupposés dans le travail de
nos collègues nordiques sans connaître les réflexions théoriques et
méthodologiques qui nourrissent leur pensée et qui s’inspirent souvent des
travaux menés dans les pays anglophones. Voilà encore des connections à suivre…
Les pays nordiques peuvent ainsi apparaître plus comme une
source d’interrogations que de solutions. Tant mieux. La pensée ne pourrait
avancer sans questions. Réjouissons-nous des défis que les « études
nordiques » présentent.
Un riche éventail de travaux dans ce domaine kaléidoscopique
sera présenté lors du 2e congrès biannuel de l’Association pour les
études nordiques à Caen du 14 au 16 juin.
Harri Veivo
L’auteur est professeur au Département d’études nordiques de
l’Université de Caen Normandie.
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